Épisode 12 A
Une chambre. Murs de pierre. Lit à baldaquin tendu de lourds rideaux ouverts.Dans les draps blancs, une femme brune dort. Hormis ses cheveux longs ornés de petites tresses, on reconnait le visage de Fanny Forest. Allongée sur le dos, elle tient au creux de son épaule gauche un homme noir aux cheveux blancs, longs, demi-queue de cheval tombant sur ses épaules. Il dort sur le côté, un bras et une jambe reposant en travers de sa compagne, nu par-dessus le drap, on le voit de trois quarts dos. Il a le profil de Seung-Chul.
Enchaînement sur un gros plan du visage de la femme.
Elle fronce les sourcils, balance la tête de droite et de gauche.
Fondu enchaîné.
Deux hommes se disputent en marchant côte à côte au bord des douves d’un château. Grands tous les deux. L’un, crinière blonde coiffée d’un anneau d’or plat serti d’une gemme rouge. Pourpoint et chausses rouge carmin, bottes de cuir brunes, cape vermillon ourlée d’or. Il a les traits de Kev Luz. L’autre, c’est le personnage qui dormait dans la scène précédente. Longue robe de laine écrue, ceinture de cuir brun. On ne les entend pas encore, mais l’animosité du roi se devine dans sa posture et ses mouvements. L’autre courbe l’échine.
Changement de plan. Plus près. On les voit de pied, de profil.
Le roi dégaine une dague de sa ceinture et l’enfonce dans le ventre du magicien puis le pousse dans les douves en hurlant :
"Tu m’as trahi ! Ma femme ne m’aime pas ! Elle aime mon champion ! "
Retour à la chambre des amants.
La femme se réveille en sursaut et s’assied dans le lit en criant.
"Nooooon ! Pas lui ! Noooon ! "
L’homme se réveille, la prend dans ses bras quand elle éclate en sanglots.
"Que se passe-t-il ? Pourquoi ce chagrin ?
-Je t’ai vu mourir demain !
-Ce n’est qu’un rêve. Ne pleure plus ma tendre amie.
-Ça ne peut pas arriver ! Je ne le permettrai pas ! "
Fondu au noir.
Une grande salle aux murs de pierre, tendus de tapisserie évoquant des tournois. Deux trônes sur une estrade, une table le long du mur, garnie de plats, de cruches et de verres. Le roi, la reine (cheveux blonds ramassés en une longue et épaisse tresse, robe jaune et or, les traits de Céline Vigne) assis sur leur trône, un chevalier tout de cuir brun vêtu debout à côté du roi (traits de Christian Dupape). Plus loin, près de la table, le mage, avec à ses côtés Nam Ji-Han, longs cheveux roux cascadant en boucles soyeuses et Ji Chang-Jun cheveux en brosse aussi roux que la femme. Le magicien noir verse l’hydromel doré cérémoniel dans les coupes, sort discrètement une fiole de sa manche et la verse dans les deux plus ouvragées. Sa compagne de la nuit le regarde faire. Quand il a fini de servir, il apporte les deux coupes au roi et à la reine. Mais sur son trajet, le Chevalier brun aux yeux bleus saisit la coupe du roi et déclare : "Sire, tu avais parié un verre d’hydromel hier. Tu as perdu. Je bois mon dû. "
Prise de court, Fanny se précipite pour prendre la deuxième coupe et la tend à Nam Ji-Han.
" Morgane, mon élève, la bienséance n’autorise pas la reine à boire avant le roi. "
Mais Morgane va offrir le vin à la reine.
"C’est toi qui m’as appris à faire fi des coutumes obscurantistes, ma Dame.
-Je constate que la disciple a dépassé la maîtresse, du moins en perspicacité, ma chère Viviane. " Déclare la reine en buvant. Et quand Fanny tombe à genoux en sanglotant, la reine ajoute : "Relève-toi, Viviane, ma douce amie, je te pardonne. Ce n’est qu’une coupe de vin après tout.
-Mais non ! S’écrie Viviane en pleurant. C’est ma vie qui s’achève ! "
Fondu au noir.
La scène des douves se répète comme dans le rêve.
"Tu m’as trahi ! Ma femme ne m’aime pas ! Elle aime Lancelot ! "
Pendant ce temps, dans sa chambre, penchée au-dessus d’un petit chaudron chauffant sur un braséro, Viviane récite des incantations en saupoudrant la mixture d’une poudre fumante. Quand la fumée se dissipe, elle boit la mixture et un tourbillon la soulève pour la transporter dans la salle du trône au moment où Merlin sert les boissons. Cette fois, c’est le rouquin Ji Chang Jun qui saisit la coupe destinée au roi. Il porte un toast en toisant le roi avant de boire.
" À mon père, qui ne reconnaît en moi qu’un bâtard sorti des flancs de sa sœur."
Alors, Viviane récupère l’autre boisson et la sert à Morgane, qui l’offre à la reine.
"Je constate que la disciple a dépassé la maîtresse, du moins en bienséance, ma chère Viviane. " Déclare la reine en buvant. Et quand Fanny tombe à genoux abasourdie, la reine ajoute : "Relève-toi ma douce amie, je te pardonne. Ce n’est qu’une coupe de vin après tout.
-Mais non ! S’écrie Viviane en pleurant. C’est ma vie qui s’achève ! Encore une fois !"
Fondu au noir.
Le roi et le mage sont à cheval sur le pont levis. Les autres suivent loin derrière. Arthur poignarde le mage en déclarant : "Tu m’as trahi ! Ma femme ne m’aime pas ! Elle aime Mordred ! " Le mage noir tombe dans les douves et se noie.
Fondu au noir.
Au bord des douves, le roi pousse Merlin en criant : "Tu m’as trahi ! Ma femme ne m’aime pas ! Elle aime Morgane! " Le mage noir tombe dans les douves et se noie.
Le tourbillon soulève Viviane et la transporte dans la salle du trône.
Cette fois, Merlin est attaché au bord des douves entre deux soldats, une pierre accrochée au cou. Les gardes le jettent dans l’eau et pendant qu’il se noie, le roi crie : "Tu m’as trahi ! Ma femme ne m’aime pas ! Elle aime Viviane! "
Tourbillon.
" Elle aime Perceval ! "
Zoom arrière sur la dernière scène.
On constate que c’est un film qui passe sur l’écran télé du salon chez Sarah. Les 2A, Mika, Seung-Chul et Sarah sont sur la grande banquette, face à l’écran. Tout le monde rit beaucoup.
Retour à l’écran.
Dernier tourbillon pour Viviane qui bloque le passage à Merlin, porte une main en coupe devant sa bouche et lui souffle une poudre hypnotique au visage. Elle saisit l’une des coupes.
"On ne peut changer le destin des mortels. Laissons-les suivre leur chemin et créons le nôtre, mon aimé. Buvons à notre amour. "
Merlin boit en même temps que Viviane, puis elle crée un tourbillon. Ils se retrouvent sur une île boisée, au centre d’un lac d’où s’élèvent des nuages de brume. Ils sont allongés sous un arbre, serrés l’un contre l’autre. Viviane pose sa tête sur l’épaule de Merlin.
"Plus rien ne t’arrivera mon éternel aimé. Qu’Avalon soit le témoin de notre amour éternel, loin des mortels. "
Élargissement du plan pour voir Mika éteindre la télé.
Les commentaires et les rires fusent.
" Nouvelle interprétation de l’emprisonnement de Merlin par Viviane...
-Comme toujours avec Bosson, l’amour est à l’honneur. La diversité aussi.
-Petit court métrage sans prétentions et amusant.
-C’est rafraichissant.
-Mais pourquoi t’avoir teint en noir ? Les autres ont gardé leurs traits asiatiques... demande agatha.
Changement de séquence :
Grande salle à manger du château médiéval de Trécesson où se passe la retraite des Epkè2. Grande table en bois ciré, chaises en bois à haut dossier, tapisseries genre Aubusson aux murs, une seule haute fenêtre. Le groupe Epkè2 de Seung-Chul réuni autour de la table... sans Seung-Chul.
Réponse d’Ahn Ae-Jin en anglais : Parce que Merlin est le fils du diable selon la légende. Et que pour les européens du moyen-âge, les noirs étaient des suppôts de Satan.
Retour à Mévouillon dans le salon de Sarah.
-Ok réplique Mika, mais dans ce cas, pourquoi ne pas avoir choisi un acteur noir ?
-Il n’y avait que ta mère dans le groupe qui soit noire. Léon y a pensé et le lui a demandé.
Salle à manger de Trécesson :
Réponse de Léon : Elle a dit...
Sarah au téléphone dans son bureau à Mévouillon.
" Pas question. Je ne suis pas une actrice ! Je suis prof de sports.
Elle écoute Léon, et plus conciliante :
Oui, quelques cascades... Mais pas actrice. Et puis Merlin est un homme. J’ai beau être grande, je ne peux pas passer pour un homme ! Ça ne marchera jamais.
Écoute de la réponse.
Merlin est une femme ? Mais alors qui jouerait le rôle de Vivian ? Parce que du coup, Viviane est un homme.
...
Quoi ? Tu vas trop loin là ! Faudrait en plus que je joue les lesbiennes pour le petit plaisir pervers des mecs ? Tu te fous de ma gueule ? Pas question ! Tu me déçois beaucoup. "
Salle à manger de Trécesson :
Léon : "Elle a dit non. Alors...
Il soulève un gros pulvérisateur caché à ses pieds et le pose sur la table. Je vous présente la potion magique qui transforme en noir. Et devinez qui s’y collera ? Ah il va payer pour nous avoir fait si peur. Ah il aime l’eau..."
Retour à Mévouillon dans le salon de Sarah.
"Et c’est comme ça, raconte Seung-Chul en anglais, que je me suis retrouvé noir, à faire des plongeons dans les douves trois fois par jour...
Rires.
-Bon, on décolle dans cinq minutes. Je me change et j’arrive. Sinon, je vais rater l’heure. Prévient Sarah en français.
-L’heure de quoi ? L’accent de Seung-Chul parlant français est prononcé.
Tout le monde se prépare, personne ne répond.
-L’heure de quoi ?
Mika répond en enfilant sa veste de jean : C’est Sarah qui t’expliquera.
L’acteur regarde Sarah, interrogateur : Péha ?
-Aujourd’hui, c’est le 14 juillet, ma Star."
Le 14 juillet ! Tout s’explique : fête nationale en France, bals, feux d’artifices. Donc, nous allons au bal de Séderon. Ce que je ne comprends pas, c’est que Péha se change pour y aller. Elle était très bien en jean ! Et très belle !
Dans le salon, je fais les cent pas en l’attendant. C’est ma première fête française et je suis excité. Elle se fait vraiment attendre.
Mais comme d’habitude, quand elle sort de la chambre, j’ai un coup au cœur. Elle porte une robe blanc et noir, moulante à souhait, épaules découvertes et col montant, sur un cycliste blanc et des baskets en toile immaculées. Sur ses bras, les mêmes tatouages que lors de notre rencontre. Le texte est le même que sur sa joue. En français, coréen et... en russe. Maquillage blanc et noir, cicatrice sur sa joue repassée en blanc. Cette fois, elle m’explique : Le 14 juillet, c’est le jour de commémoration de sa rencontre avec Sacha.
"Cette année, c’est un anniversaire pas comme les autres : je vais te présenter à Sacha. Il sera content de voir que je ne suis plus seule.
-Je n’aurais pas cru que tu sois si... croyante...
-C’est une pratique que je tiens de vous et de vos dramas : quand je vais mal, ou bien même, je vais sur sa tombe pour lui parler un peu. Ça me fait du bien.
Donc, ce soir, après la fête, on va lui rendre visite s’il te plait. "
Elle me prend dans ses bras. Petit moment câlin pour me rappeler ce que je sais déjà : elle a de la place pour nous deux dans son cœur. Elle m’aimera toujours, passionnément... Et Sacha aussi. Je n’ai pas à être jaloux. Et je ne le suis pas.
Arrivés au village, la musique, les rires, les danses nous entourent. Toute la famille de ma reine est là pour se réjouir. Ah non : il manque Maguy restée à Séoul avec son mari. C’est une soirée agréable. Maintenant que j’ai retrouvé l’usage de ma jambe, nous ne quittons pas la place qui fait office de piste de danse. Valses, tangos, rocks, disco et pop, tout est bon pour nous. Et quand arrive le quart d’heure "Goldman" comme elle l’appelle, elle devient frénétique. Plus tard, elle m’expliquera que ce chanteur fait partie intégrante des soirées dansantes. Pas de bonne soirée sans Goldman ! Au bout de deux heures à ce rythme, ma reine m’entraîne à la buvette pour prendre un verre de marquisette. Nous restons un moment devant le comptoir, à regarder les autres danser.
"C’est le moment de te raconter ma rencontre avec Sacha. "
Travelling vers la place du village et les danseurs. La scène perd ses couleurs pour être en noir et blanc.
Sarah s’éloigne du comptoir avec son amie Maria, son verre à la main, elles plaisantent, elles rient, elles sont heureuses. Et Sarah se heurte à un homme presque aussi grand qu’elle, blond, cheveux en brosse, yeux bleus à s’y noyer. Leurs deux verres, sous le choc se répandent sur le T-shirt de Sacha.
"Excusez-moi ! Je suis vraiment distraite !
-Y’a pas de mal, répond Sacha dans un sourire apaisant. Charmante rencontre.
-Laissez-moi vous payer un autre verre ! "
Retour à la couleur et au présent.
"Je me souviens de cette sensation de se noyer dans ses yeux. Dit-elle le regard lointain, les yeux humides. Mais comment être jaloux d’un mort ? Nos verres se sont renversés sur son T-shirt blanc, qui est devenu translucide et lui collait à la peau... Il avait des abdos... à damner une none !
Elle secoue sa tête pour sortir de sa rêverie.
Comme ça ! Ajoute-t-elle en renversant son verre sur mon propre T-shirt, dans un sourire ravageur. Elle recule d’un pas pour admirer mon ventre à travers le tissu mouillé.
-C’est pour ça que tu m’as choisi ce t-shirt ? Mes craintes s’envolent. Je l’attire encore. Sourire gourmand à nos lèvres. Elle fixe sans conteste mes abdos avec envie ! Instant hors du temps où chacun admire l’autre en le dévorant des yeux.
-On va danser ? Propose-t-elle en se tournant, brisant la magie de l’instant. Elle prend ma main et m’entraîne dans la foule.
Tout à coup, elle stoppe net, médusée. Elle recule d’un pas, fixant toujours la même chose. Elle se colle à moi, passe un bras autour de ma taille, l’autre main se porte à sa gorge. Son expression est inquiétante, son visage devient gris, ses yeux s’emplissent de larmes, ses lèvres tremblent. Je passe mon bras autour de ses épaules, je lui tends un mouchoir.
-Qu’est-ce qui ne va pas ? Sarah, réponds s’il te plait.
Son absence de réaction me surprend, quelque chose m’échappe. Je lève enfin les yeux et regarde dans la direction visée par ma reine. Un homme à la crinière blonde se démarque dans cette foule éparse. Il tient une jeune femme par l’épaule. Ses yeux couleur mer des Caraïbes fixent Sarah, exorbités. Ses lèvres s’entrouvrent pour s’écrier par-dessus les bruits de la foule.
"Shogun ! "
À mon côté, j'entends un hoquet puis un murmure se terminant en une longue plainte.
-Sachaaaa !