34. EXT. CORDE SOUS L’HÉLICOPTÈRE - AUBE
L’hélicoptère s’élève dans le ciel. Sacha, toujours noir et nu, et Seung-Chul, gardant son blouson fermé, se tiennent presque sans effort à l’échelle. Ils semblent soulagés. La pile du pont explose juste au moment où ils atteignent l’autre rive. Le jour se lève.
SACHA (sourire aux lèvres)
C’est bien ça que tu voulais faire quand tu as commencé le français ? Te la jouer Belmondo ?
SEUNG-CHUL (fouillant dans son blouson)
Ouaip… Mais je voulais juste faire un film, moi.
Il sort deux bâtons de dynamite et en tend un à Sacha.
SACHA sourire grimaçant aux lèvres
Plains-toi ! C’est pas mieux en vrai ?
SEUNG-CHUL regard intense
Si tu enlèves la peur de te voir mourir, oui, c’est mieux…
SARAH (voix tendue, dans l’oreillette)
Le convoi des enfants arrive juste en face, les gars ! On ne se relâche pas !
SEUNG-CHUL (souriant)
On est prêts.
Il porte son bâton de dynamite à La bouche pour le tenir entre ses dents, fouillant dans sa poche pour trouver un briquet. Sacha cale aussi le bâton entre ses dents. La Star déclenche la flamme tandis que Sacha fait un pare-vent de sa main libre. Une fois la mèche allumée, ils récidivent pour le bâton de Seung-Chul.
Ils arrivent à portée du premier véhicule. Seung-Chul lance son bâton devant les roues du blindé qui se soulève au moment de l'explosion. Sacha, de son côté, prend son temps.
SACHA écartant son bâton de dynamite de sa bouche, comme un cigare
J’adore qu’un plan se déroule sans accroc.
Il lance le bâton juste sous le passage du blindé, dont l’avant s’élève sous l’effet de l’explosion. Les voix de Seung-Chul et de Sarah retentissent, moqueuses.
SEUNG-CHUL ET SARAH
Frimeur !
Le véhicule termine sa chute sur le toit. Pendant ce temps, Seung-Chul défait sa ceinture de grenades, tire sur la ficelle reliée à toutes les goupilles et jette le tout sur le camion de transport des troupes, qui explose.
SARAH (calmement, dans l'oreillette)
Je pose l’appareil. Soyez prêts. Ça va secouer.
SACHA (fièrement)
Montre-nous ce que je t’ai appris.
Sarah pousse le cyclique trop brusquement, et l’appareil descend en piqué sur quelques mètres.
SACHA (flegmatique)
Souple les commandes, souple…
Sarah se reprend, respirant profondément dans l’oreillette. Le Mi-8 descend lentement. Les deux hommes quittent l’échelle en une enjambée souple, s’écartant tandis que l’engin se pose devant le dernier véhicule, celui qui transporte les enfants.
Dimitri et Boris sortent avec leur fusil, menaçant les soldats russes qui restent, tandis que Sacha et Seung-Chul s’avancent pour faire sortir la dizaine d’enfants entassée à l’arrière. Sacha ouvre la portière, mais les enfants, terrifiés, se blottissent contre l’autre côté du véhicule.
SACHA (étonné)
Qu’est-ce qui leur prend ?
SEUNG-CHUL (en s’approchant, compréhensif)
Ben… Un grand noir aux yeux bleus, nu, qui se précipite sur eux… Après ce qu’ils viennent de vivre… Mets-toi à leur place !
Seung-Chul retire son blouson, le passe autour de la taille de Sacha et le noue à la hanche. Compréhensif, Sacha s’écarte du passage et demande en ukrainien aux enfants de monter dans l’hélicoptère. Les enfants obtempèrent, rassurés.
35. INT. CABINE HÉLICO – PETIT JOUR
Rappel : Seung-Chul et Sacha sont noirs.
Tout se passe très vite. Voyant un mouvement dans les véhicules retournés, Sarah panique et redécolle juste au moment où Seung-Chul pose le pied dans l’appareil. Sur le point de basculer hors de l’hélico, il est retenu par Sacha, qui sourit.
SACHA (en le ramenant à l’intérieur)
Tu tombes, on tombe !
Seung-Chul tente de s’écarter, mais Sacha le retient, le regardant avec soulagement. Puis, sans avertissement, il plante un baiser sonore sur les lèvres du Coréen avant de s’effondrer sur sa jambe blessée.
SACHA (s'excusant)
Désolé… J’ai plus d’énergie.
SARAH (voix dans l'oreillette, agacée)
On pourrait avoir un peu de sérieux, là ? Sacha, j’ai besoin de toi aux commandes ! Ce n’est pas le moment de te relâcher. Et cessez de vous bécoter sans arrêt, c’est déplai-sant !
SEUNG-CHUL (plaisantant)
T’es jalouse ?
SACHA (grimace en se relevant, avec l’aide de Seung-Chul)
J’arrive.
Sarah sursaute dans son siège, énervée.
SARAH énervée, tendue
Séquia ! Et d’abord, de qui serais-je jalouse ? De toi ou de lui ?
Sacha s’agrippe au dossier du siège de Sarah et se penche vers elle, la saisissant doucement par le menton pour croiser son regard.
SACHA (susurrant)
Peut-être des deux ?
Il l’embrasse, un baiser plus langoureux et doux qu’avec Seung-Chul. Sarah se laisse transporter. L’hélicoptère commence à rouler et tanguer.
SEUNG-CHUL agité
Sarah… Arrête de jouer avec le manche, s’il te plaît. C’est pas confortable, là.
Sarah, absente, ne répond pas. Une embardée fait tomber Seung-Chul sur les genoux de Boris.
SEUNG-CHUL insistant
Sarah ! Ne joue pas avec le manche !
Elle se ressaisit enfin, mais son regard descend le long du torse de Sacha, s’arrêtant un instant.
SARAH (étonnée, sortant de sa rêverie)
Mais… Je joue pas avec…
SACHA (souriant doucement)
Le cyclique, mon cœur. Il parle du cyclique.
Sarah se ressaisit, abasourdie par sa méprise, et se réinstalle confortablement.
SARAH (énervée)
Patiiin ! C’est du n’importe quoi, cette situation ! Arrêtez de me faire perdre la tête ! On n’est pas en vacances ici ! Reprends le volant !
SACHA (doucement, pinçant les lèvres)
Ah non, je peux pas. C’est un cyclique !
Et puis, j’ai trop mal à la cuisse. Je veux bien faire le co-pilote, mais c’est tout.
Tu t’en sors très bien.
À l’arrière, tout le monde est calme. Boris et Dimitri s’occupent des blessés, et les enfants, épuisés, somnolent. Seung-Chul est assis près d’Irina, tenant sa main avec tendresse, écartant une mèche de son front. Des larmes coulent sur ses joues.
SEUNG-CHUL (se parlant à lui-même, en s’essuyant les yeux)
On a réussi.
Il lève les yeux vers Sarah et Sacha, tout à leurs manœuvres dans le cockpit.
SARAH fièrement, et soulagée
Ouaip. On a réussi.
Seung-Chul s’adosse contre la carlingue. Il renverse la tête en arrière et ferme les yeux.
SEUNG-CHUL (grimaçant de souffrance)
Alors pourquoi je me sens aussi mal ?
fondu au noir
36. EXT. AÉRODROME D’IZIUM – MATIN
Rappel : Seung-Chul et Sacha sont noirs.
Pour Seung-Chul, tout se passe dans un épais brouillard fiévreux ; il tremble, envahi par un froid intérieur.
Avec Sarah, il aide les enfants et les prisonniers à descendre de l’hélicoptère tandis que Dimitri soutient Sacha pour débriefer un gradé. Irina, sur une civière, est prête à être embarquée dans un avion médical. Seung-Chul la suit, tenant la poche de perfusion dans une main, l’autre serrant celle d’Irina. Elle le fixe avec reconnaissance. Sarah suit, en silence.
SEUNG-CHUL doucement, gentiment, en anglais
C’est fini, Irina. Vous pouvez vous reposer. Vous êtes en sécurité.
Irina sourit faiblement avant qu’on ne la hisse dans l’avion médical. Seung-Chul se tourne alors vers Sarah qui les suivait et la prend dans ses bras, la serrant de toutes ses forces. Il ferme les yeux dans une grimace de désarroi, de détresse. Sarah le réconforte en tapotant sur son dos. Soudain, Seung-Chul s’écarte et son regard affolé se porte sur le pantalon de Sarah, imbibé de sang. Il tombe à genoux, terrifié.
SEUNG-CHUL désespéré, sanglotant
Noooon ! Pas toi !
Son esprit, noyé dans le brouillard, l’envahit de panique. Il est submergé par des sanglots incontrôlables. Sarah s’agenouille devant lui et lui saisit les épaules, son regard déterminé.
SARAH avec force, persuasive
Ce n’est pas mon sang, Seung-Chul ! regarde-moi. Je ne suis pas blessée !
Seung-Chul, lentement, retrouve son calme. Il fixe Sarah, sidéré, et une compréhension douloureuse le frappe. Sarah détourne le regard, son expression oscillant entre honte et indifférence. Alors, un souvenir lui revient.
Fondu enchainé sur les yeux de Seung-Chul :
DÉBUT DE FLASHBACK
37. INT SALLE DE GARDE ENTREPÔT – DEUX HEURES PLUS TÔT
Seung-Chul franchit la porte avec Irina dans les bras, mais juste avant de sortir, il aperçoit Sarah, l’air possédé, s’approcher d’Yvan avec un couteau à la main. Il détourne le regard, préférant se concentrer sur Irina. En courant dans les escaliers, il laisse ce souvenir s'effacer.
FIN DU FLASHBACK
38. RETOUR À L’AÉRODROME D’IZIUM – MATIN
Rappel : Sacha et Seung-Chul sont noirs.
Fondu enchainé sur les yeux de Seung-Chul,
qui fixent Sarah avec effroi. Elle évite son regard, en proie à un dilemme silencieux. Après une hésitation, elle l’aide à se relever, et ensemble, ils avancent vers Sacha, toujours vêtu du blouson noué autour de la taille. Quand ils l'atteignent, Sacha s’évanouit dans leurs bras. Sans un mot, Sarah et Seung-Chul se soutiennent mutuellement pour porter Sacha jusqu’à l’avion sanitaire.
Alors que Seung-Chul avance, il rompt le silence, d’une voix frustrée, en regardant par-dessus son épaule :
SEUNG-CHUL troublé
Tu m’as dit de ne pas devenir inhumain... Alors pourquoi ?
SARAH sur la défensive
Je ne les ai pas tués ! Je les ai juste empêché de se reproduire !
Tu es la paix... Je suis la guerre. C’est mon destin.
Un silence retombe, pesant, alors que Seung-Chul assimile ses mots. Finalement, il répond d’une voix empreinte de compréhension :
SEUNG-CHUL triste, solennel
Ne souffres plus en silence ! Tu n’es plus la soldate de treize ans. Je suis avec toi. Ma Reine Guerrière.
39. INT. PARTIE SOIN INTENSIF DE L’AVION – MATIN
Seung-Chul est assis à côté du lit d’Irina, son regard posé avec intensité sur son visage paisible. Il lui tient la main, la caressant doucement, son pouce suivant lentement les veines pâles de son bras. Irina dort, sa respiration faible mais régulière.
Sarah, assise contre Seung-Chul, repose la tête sur son épaule, ses yeux mi-clos, apaisée par sa présence. De temps en temps, il pose une main protectrice sur son dos, comme pour la rassurer en silence.
À quelques centimètres d’Irina, Sacha est allongé, une main reposant faiblement sur celle d'Irina. Ses traits fatigués trahissent les séquelles de la mission, et, même dans le sommeil, une ride d’inquiétude persiste sur son front.
Le silence est seulement troublé par le bourdonnement sourd des moteurs et le chuchotement des infirmières qui veillent sur les autres rescapés assoupis, entassés sur des civières un peu plus loin.
Seung-Chul contemple Irina, les mâchoires serrées, une peine immense mêlée à une colère sourde brûlant dans ses yeux. Le poids de ce qu’elle a enduré semble l’accabler ; son regard se perd dans le vide un instant, avant qu’il ne se tourne vers Sarah, retenant un chagrin intense.
SEUNG-CHUL (à voix basse, pour lui-même)
Sarah, Irina... Pourquoi la guerre est-elle si monstrueuse avec les femmes ?
Sarah, les yeux fermés, murmure un mot réconfortant, sa main serrant la sienne, comme pour l’ancrer dans le présent.
SARAH doucement
Pour que tu sois là, avec nous.
Elle se blottit plus fortement contre lui. Sacha bouge légèrement dans son sommeil, sa main cherchant inconsciemment celle d’Irina. Seung-Chul les observe tous les deux, le poids de leur souffrance et de leur survie se mêlant à une gratitude silencieuse.
SEUNG-CHUL (grimaçant de souffrance)
Pourquoi je me sens aussi mal ?
fondu au noir
40. INT. STUDIO PHOTO. JOUR
Sous-titre : trois mois plus tard.
Aucune partie intime n’est visible dans cette scène. Ni bas-ventre, ni seins. Quitte à flouter.
La moitié du studio est de couleur verte, même le sol. Aucune décoration. Seung-Chul et Sarah, nus, posent devant le mur vert. Dans leurs différentes poses, leurs corps sont toujours en contact. Léon Bosson, appareil photo en main, les photographie sous tous les angles, montant sur un escabeau pour des prises en plongée, descendant pour des contre-plongées. L'atmosphère est chargée, à la fois physique et mentale.
LÉON (autoritaire)
Sarah, reste contre Seung-Chul ! L’amour en noir et blanc, c’est intense, c’est fusionnel. Colle-toi à lui !
SARAH (légèrement agacée, se rapprochant de Seung-Chul)
Je sais, Léon, je sais. Mais il fait chaud, tes spots sont de véritables radiateurs ! Et Saku...
(Elle soupire)
Il est brûlant.
Ils continuent d'enchaîner les poses, leurs corps se frôlant, se cherchant.
SEUNG-CHUL (essayant de rester détendu)
Je fais tout pour ne pas bander... ça fait monter ma température. Désolé.
Sarah ne peut s’empêcher de regarder vers l’entre-jambe de son partenaire... Elle sourit, rêveuse, l’espace d’un instant, puis se secoue.
SARAH (soufflant doucement)
Je comprends, ma Star, c’est dur !
SEUNG-CHUL (saisissant l’allusion avec humour, il répond dans un sourire malicieux)
Oui... et non.
SARAH malicieuse, à son oreille
Si tu tiens bon, alors je dois le faire aussi, pour qu’on finisse vite. J’avoue que c’est difficile pour moi aussi... de rester calme tout contre toi...
Elle enfouit sa tête dans le cou de Seung-Chul et se love contre lui. Seung-Chul embrasse ses cheveux.
SEUNG-CHUL reconnaissant
Merci, Péha. Sar-ha. Ma Sarah...
LÉON (satisfait derrière son objectif)
Voilà ! C’est ça ! Enfin !
SEUNG-CHUL(n’arrivant pas à contenir une grimace d’excitation)
Putain, c’est dur quand-même!
Agacé, il s’écarte de Sarah pour demander à Léon, les mains devant l'entre jambe, debout, un mélange de gêne et d’impatience plaqué sur le visage.
Ça doit être presque fini, non ? Tu as pris des centaines de photos.
LÉON (se redressant, admiratif et amusé)
Désolé, je ne savais pas que c’était si... difficile de poser avec Sarah !
Il se détourne, amusé, et commence à installer un échafaudage face au mur vert.
LÉON professionnel
On a terminé les poses debout. On passe au ying-yang, au sol.
Léon fixe l’appareil photo sous un échafaudage pour une prise de vue verticale. Sarah et Seung-Chul s’éloignent des projecteurs, ils s’éventent mutuellement. Leur regard et leur sourire sont sans équivoque.
SARAH s’éventant
Tu crois que c’est une bonne idée de mettre ces photos sur la scène de la prochaine émission FKED ? On risque d’éclipser les autres. Ce ne serait pas juste !
LÉON (sans hésiter)
On est tous d’accord pour répondre par ces images au racisme dont tu as souffert la dernière fois.
On aime tous ton mantra : “J’aime, je vis.” Et on veut en faire un message fort.
Léon descend de l’échafaudage.
Allez, on reprend ! Allongez-vous tête-bêche, en chien de fusil.
Seung-Chul et Sarah s’allongent au sol, leurs deux corps inscrits dans un cercle, formant un yin et yang humain. Léon prend quelques clichés, les guidant sans cesse dans leurs poses. Mais la conversation entamée au début de la séance revient. Ils sont préoccupés.
SARAH (les yeux fixés sur un point au loin)
Tu crois que Sacha a fini ses démarches ?
SEUNG-CHUL (soupirant)
Tu veux dire... s’il est enfin légalement ressuscité ?
SARAH (pouffant légèrement)
Oui, c’est ça... (reprenant son sérieux) Il devrait déjà être là, non ?
SEUNG-CHUL (protestant mollement)
Pour une fois qu’on est juste nous deux, tu penses à lui. Il te manque tant que ça ? On ne l’a pourtant pas quitté depuis l’Ukraine.
SARAH (posant sa tête sur son bras)
C’est vrai. Ça n’a rien à voir avec mon amour pour toi, bien-sûr, mais j’ai peur de le perdre à nouveau.
LÉON (les yeux sur l’objectif)
Oui, c’est bon ça, Sarah !
Seung-Chul la fixe, son regard perçant cherchant à comprendre ce qu’elle ressent vraiment.
SEUNG-CHUL (d’une voix tendre mais ferme)
Je comprends, mais concentre-toi sur nous. Juste nous... ici... maintenant.
SARAH (fermement)
Tu as raison.
(une pause)
Mais j’ai peur... j’ai peur qu’il parte encore une fois après ça.
Un silence lourd tombe entre eux, rempli de non-dits.
Ils obéissent sans rien dire aux ordres de Léon. Seung-Chul relève la tête, scrutant le visage de Sarah.
SEUNG-CHUL (avec une sincérité désarmante)
Moi aussi je tiens à lui. Plus que tu ne le crois. Mais tu sais que rester ensemble, tous les trois... ce serait cruel.
SARAH (les yeux brillants de larmes)
Je sais... mais j’aimerais qu’il reste... juste un peu plus longtemps. Jusqu’à ce qu’il digère la mort de Mirage.
DÉBUT DU FLASHBACK
41. EXT. CIMETIÈRE DE MÉVOUILLON. ENTERREMENT DU GRAND-PÈRE DE SARAH - JOUR
SOUS TITRE : une semaine avant.
La scène est sombre et empreinte de gravité. Une foule se tient devant une tombe ouverte. Sarah, aux côtés de son fils Mika, récite un poème d’Hérédia (Les conquérants), sa voix légèrement tremblante. Un peu à l’écart, Sacha se tient près de Seung-Chul, les yeux vagues.
SACHA (murmurant)
Je suis heureux d’avoir pu lui dire au revoir. Je l’aimais bien ce vieux grand-père. Nos balades à moto avec lui, c'était... magique.
SEUNG-CHUL (plus sombre)
Je ne l’ai vu qu’une fois... C’était... triste. La vieillesse peut être cruelle.
(pause)
Pourtant j’ai lu la joie sur son visage aveugle quand Sarah lui parlait. Perdu dans son monde, il percevait tout son amour.
Sacha essuie une larme, son regard errant sur les tombes environnantes. Il s’arrête soudain, figé. Il serre le bras de Seung-Chul avec une force inattendue, ses yeux fixés sur une tombe proche.
SEUNG-CHUL (alerté par l’intensité de sa prise)
Qu’est-ce que...
Il suit le regard de Sacha et découvre une stèle avec deux photos : celle de Sacha avant son départ en OPEX, et celle d’un nourrisson, Mirage N’Gué-Volkov. Sacha porte une main à son cœur, ses genoux cèdent sous la douleur. Il éclate en sanglots, son corps secoué de spasmes. Seung-Chul s’agenouille à côté de lui, l'enveloppant de ses bras.
Sarah, finissant le poème, prend une poignée de terre qu’elle laisse couler sur le cercueil. Elle aperçoit Sacha, effondré, et pendant que la cérémonie continue, elle s’approche, s’agenouillant de l’autre côté.
SARAH (la voix brisée)
Je suis tellement désolée ! Je n’ai pas trouvé le moment pour t’en parler. Tout est allé si vite... Et puis il y a eu la fin de mon grand-père... J’ai oublié. Je suis tellement désolée que tu l’apprennes ainsi.
SACHA (entre deux sanglots)
Comment... comment c’est... arrivé ?
Sarah enfouit la tête de Sacha dans son giron, lui caressant doucement les cheveux. Seung-Chul reste agenouillé à côté, une main sur l’épaule de Sacha. Il est grave, compatissant.
SARAH(secouée, refoulant ses larmes)
J’étais enceinte d’un mois quand tu es parti. Je voulais te faire la surprise à ton retour. Mais... Tu es mort une semaine plus tard.
Mirage est né prématuré, cinq semaines trop tôt... Il s’est éteint après quinze jours. J’ai voulu que vous soyez ensemble, alors... son urne repose sur ton cercueil.
FIN DU FLASHBACK
42. INT. RETOUR AU STUDIO – JOUR
On ne voit jamais les parties sensibles des personnages nus.
Fade in doux de Maze de Yong Zoo.
Léon, impassible, mais agacé par leur distraction, interrompt leurs pensées.
LÉON (impérieux)
Seung-Chul, reprends la pose ! Vous pourrez discuter après.
la musique atteint son premier crescendo.
Sacha entre dans le studio, fatigué, négligé, abattu. Un coup d’œil suffit à Sarah pour comprendre son état. Elle se lève et court vers lui, nue. Sacha, étonné, tient ses bras loin de Sarah en fixant Seung-Chul, impuissant.
Fade low...
SACHA (d’un ton monocorde, neutre)
Salut. C’est fait... je suis officiellement en vie. On peut divorcer.
Fade to High...
Les yeux de Sacha cherchent du secours auprès de Seung-Chul, qui se lève lentement, saisit une serviette qu’il enroule autour de ses hanches et prend au passage le peignoir de Sarah qu’il place sur ses épaules.
Léon prend son appareil discrètement et capture l’intensité de l’instant, oublié de tous.
fade low
SEUNG-CHUL (à voix basse, intense)
Ce que tu fais... c’est cruel. Pour lui... comme pour moi.
Une fois couverte, Sarah se tourne vers Seung-Chul, les yeux pleins de larmes, et s’enfouit dans ses bras, sanglotant silencieusement.
SARAH (relevant la tête)
Mais il vient de perdre son enfant !
Seung-Chul la repousse doucement, les mains sur ses épaules, le regard brûlant. Sa serviette glisse par terre.
SEUNG-CHUL (fort, désespéré)
Et moi, je perds ma femme !
Sacha s’approche alors, brisant le silence pesant qui s’est installé. Il place une main sur chaque épaule, les yeux brillants d'une tristesse infinie.
SACHA (avec une calme détermination)
Moi, je l’ai déjà perdue...
J’ai perdu un enfant que je n’ai jamais connu, et ma femme.
Mais je n’ai pas perdu la vie... Cette fois.
Sacha récupère la serviette qui a glissé des hanches de Seung-Chul et la réajuste lentement.
SACHA (d’une voix douce mais pleine de regrets)
Sarah a passé deux ans à faire le deuil de son mari et de son fils.
Son regard se plante dans les yeux de Sarah.
Moi, j’avais perdu la mémoire pendant que tu souffrais.
Sarah, dans les bras de Seung-Chul, le regarde avec une détresse évidente.
SARAH(au bord des larmes et se serrant fort contre Seung-Chul)
Je ne sais plus quoi faire ! J’ai tellement mal... pour toi, pour moi, pour Sacha...
SACHA (prenant une décision)
Il faut que ça s’arrête. Je pars... je retourne au 11e régiment demain.
Seung-Chul, pris de panique, attire Sacha dans une étreinte désespérée avec Sarah, leurs fronts pressés les uns contre les autres.
Léon, en retrait, abaisse lentement son appareil photo. Il ne dit rien, laissant le trio à son intimité, à sa peine. Il s’installe devant l’ordinateur et charge les photos. Il brise le silence trop pesant qui règne dans la salle.
LÉON (d’une voix forte)
Fin de la séance. Venez voir les photos.
Les trois S, un peu perdus, se regroupent autour de l’ordinateur et observent le diaporama en silence.
Fade in to high
Plan de coupe : les photos de la séance.
Les photos défilent sur l’écran. Léon a ralenti le rythme du diaporama sur les images des trois S. Le visage de Seung-Chul se ferme d’avantage à chaque photo, quelque chose le dérange.
LÉON (tête penchée sur le côté, rêveur)
Tant d’amour inexprimé, tant de désir refoulé !
C’est tellement beau... Tellement ... triste.
Cut music
Seung-Chul ne peut plus contenir ses émotions.
SEUNG-CHUL (visage fermé, ton cinglant)
Je suis pas un pédé !
Sarah se tourne, furieuse, et lui assène une gifle magistrale.
SARAH (furieuse)
Qui t’a appris ce mot à la con ?
Tu as besoin d’exprimer ton hétérosexualité ? Pourquoi faire ?
Les yeux de Sacha quittent l’écran pour regarder Seung-Chul avec affection.
SACHA avec une pointe d’humour
Je t’avais prévenu...
Sarah, comme à son habitude, inspire profondément pour relâcher la pression. Sa colère se calme instantanément, laissant une grande lassitude dans sa voix.
SARAH lasse
C’est tellement irrespectueux, infondé, ridicule !
Sarah regarde Seung-Chul avec peine. Il ne baisse pas les yeux, partagé entre la colère et le désespoir. À la vue de ces photos, toutes ses convictions sur le genre humain sont parties en éclats
Je n’aurais jamais cru ça de toi ! Surtout que tu lui as déjà roulé quelques pelles dis-donc !
SEUNG-CHUL (la main sur sa joue, rebelle)
Ça c’était pour jouer !
SARAH qui n’en démord pas
Pour jouer mon cul oui !
Sois honnête ! Tu l’aimes bien, c’est tout !
Seung-Chul pince les lèvres et s’éloigne en colère. Sacha pose doucement une main sur l’épaule de Sarah et la conduit vers lui.
Fade in Maze (Yongzoo)
SACHA (tendrement)
Il est coréen, Shogun.
Là-bas, c’est encore tabou.
SARAH (le ton baisse un peu)
On parle de Saku, là ! Ce n’est pas n’importe qui !
SACHA regardant Seung-Chul avec tendresse
Il a peur de ce qu’il voit sur les clichés. Il n’a toujours pas compris.
SARAH (intriguée)
Qu’est-ce qu’il n'a pas compris?
Sacha ne répond pas, il tourne son regard vers Sarah et pose sa main libre sur sa joue.
SACHA (tendre, compréhensif, les yeux rieurs)
Toi non plus visiblement.
Il se tourne vers Seung-Chul, avec tendresse.
SACHA
Moi non plus, je ne suis pas “pédé”. Mais l’amour se fout du genre.
Silence. Seung-Chul détourne le regard, cherchant à cacher sa honte. Sacha reprend après un soupir.
SACHA
Et je pars demain.
SEUNG-CHUL (désespéré)
Non ! Donne-nous une semaine ! Juste une semaine ! Sarah n’est pas prête !
Il se tait, baissant les yeux, gêné, puis reprend dans un souffle.
SEUNG-CHUL
ON n’est pas prêts !
Sacha le regarde, hésitant. Seung-Chul serre ses mains l’une contre l’autre, si fort qu’elles pâlissent. Il regarde le sol comme pour trouver la force d’avouer.
SEUNG-CHUL
JE... ne suis pas prêt.
Il relève les yeux, pleins de désespoir et de prières.
cut music
SEUNG-CHUL (en coréen, dans un gémissant.)
제발 (tchébal), S’il te plait !
Fondu au noir