ÉPISODE 16
1. TROIS MOIS PLUS TARD. INTÉRIEUR STUDIO PHOTO. JOUR
La moitié du studio est de couleur verte, même le sol. Aucune décoration. Seung-Chul et Sarah, nus, posent devant le mur vert. Dans leurs différentes poses, leurs corps sont toujours en contact. Léon Bosson, appareil photo en main, les photographie sous tous les angles, montant sur un escabeau pour des prises en plongée, descendant pour des contre-plongées. L'atmosphère est chargée, à la fois physique et émotionnelle.
Léon (autoritaire)
Sarah, reste contre Seung-Chul ! L’amour en noir et blanc, c’est intense, c’est fusionnel. Colle-toi à lui !
Sarah (légèrement agacée, se rapprochant de Seung-Chul)
Je sais, Léon, je sais. Mais il fait chaud, tes spots sont de véritables radiateurs ! Et Saku... (elle soupire) il est brûlant.
Ils continuent d'enchaîner les poses, leurs corps se frôlant, se cherchant.
Seung-Chul (essayant de rester détendu)
Je fais tout pour ne pas bander... ça fait monter ma température. Désolé.
Sarah ne peut s’empêcher de regarder vers l’entre-jambe de son partenaire... Elle semble rêveuse l’espace d’un instant, puis se secoue.
Sarah (soufflant doucement)
Je comprends, ma Star, c’est dur !
Seung-Chul (saisissant l’allusion avec humour, il répond dans un sourire malicieux)
Oui... et non.
Sarah
Si tu tiens bon, alors je dois le faire aussi, pour qu’on finisse vite. J’avoue que c’est difficile pour moi aussi... de rester calme tout contre toi...
Elle enfouit sa tête dans le cou de Seung-Chul et se love contre lui.*
Léon (satisfait derrière son objectif)
Voilà ! C’est ça ! Enfin !
Seung-Chul (n’arrivant pas à contenir une grimace d’excitation)
Putain, c’est dur !
Léon (sans lever les yeux de l’objectif)
Parfait ! Continue, Sarah!
Seung-Chul lève les yeux au ciel dans une grimace implorante.
Seung-Chul (un sourire sur ses dents serrées)
Pitiéééé !
Agacé, il s’écarte de Sarah pour demander à Léon, debout, un mélange de gêne et d’impatience plaqué sur le visage.
Ça doit être presque fini, non ? Tu as pris des centaines de photos.
Léon (se redressant, admiratif et amusé)
Désolé, je ne savais pas que c’était si dur que ça... de poser avec Sarah !
Il se détourne , amusé, et commence à installer un échafaudage face au mur vert.
On a terminé les poses debout. On passe au ying-yang, au sol.
Léon fixe l’appareil photo en dessous de la planche pour une prise de vue verticale. Sarah et Seung-Chul s’éloignent des projecteurs, ils s’éventent mutuellement. Leur regard et leur sourire sont sans équivoque.
Sarah
Bon sang ! C’est bien plus difficile qu’on croit, les shootings photo!
(plus pensive, s’adressant à Léon)
Tu crois que c’est vraiment une bonne idée de mettre ces photos comme décor sur la scène de la prochaine émission FKED ? On risque d’éclipser les autres. Et Je les aime bien moi...
Elle penche la tête de droite et de gauche, exprimant une hésitation.
Bon, pas tous. Mais quand-même !
Léon (sans hésiter)
Cette fois, on est en France, il y a moins de censure. Et après ce qui s’est passé lors de la première émission, on est tous d’accord là-dessus ! On veut répondre par ces images au racisme dont tu as souffert. On aime tous ton mantra : “J’aime, je vis.” Et on veut en faire un message fort.
Seung-Chul (avec une pointe de détermination)
Moi, je prends ça pour une revanche... Pour tout ce que nous av... tout ce que TU as enduré à cause de notre relation.
Léon (coupant court)
Allez, on reprend ! Allongez-vous tête-bêche, en chien de fusil.
Seung-Chul et Sarah s’allongent au sol, leurs deux corps inscrits dans un cercle, formant un yin et yang humain. Léon prend quelques clichés, les guidant sans cesse dans leurs poses. Mais la conversation entamée au début de la séance revient. Ils sont préoccupés.
Sarah (les yeux fixés sur un point au loin)
Tu crois que Sacha a fini ses démarches ?
Seung-Chul (soupirant)
Tu veux dire... s’il est enfin légalement ressuscité ?
Sarah (pouffant légèrement)
Oui, c’est ça... (reprenant son sérieux) Il devrait déjà être là, non ?
Seung-Chul (protestant mollement)
Pour une fois qu’on est juste nous deux, tu penses à lui. Il te manque tant que ça ? On ne l’a pourtant pas quitté depuis l’Ukraine.
Sarah (posant sa tête sur son bras)
C’est vrai. Ça n’a rien à voir avec mon amour pour toi, bien-sûr, mais j’ai peur de le perdre à nouveau.
Léon (les yeux sur l’objectif)
Oui, c’est bon ça, Sarah !
Seung-Chul la fixe, son regard perçant cherchant à comprendre ce qu’elle ressent vraiment.
Seung-Chul (d’une voix tendre mais ferme)
Je comprends, mais concentre-toi sur nous. Juste nous...
ici... maintenant.
Sarah (fermement)
Tu as raison.
(une pause)
Mais j’ai peur... j’ai peur qu’il parte encore une fois après ça.
Un silence lourd tombe entre eux, rempli de non-dits.
Ils obéissent sans rien dire aux ordres de Léon. Seung-Chul relève la tête, scrutant le visage de Sarah.
Seung-Chul (avec une sincérité désarmante)
Moi aussi je tiens à lui. Plus que tu ne le crois. Mais tu sais que rester ensemble, tous les trois... ce serait cruel.
Sarah (les yeux brillants de larmes)
Je sais... mais j’aimerais qu’il reste... juste un peu plus longtemps. Jusqu’à ce qu’il digère la mort de Mirage.
DÉBUT DU FLASHBACK
CIMETIÈRE DE MÉVOUILLON. ENTERREMENT DU GRAND-PÈRE DE SARAH.
UNE SEMAINE PLUS TÔT.
La scène est sombre et empreinte de gravité. Une foule se tient devant une tombe ouverte. Sarah, aux côtés de son fils Mika, récite un poème d’Hérédia (Les conquérants), sa voix légèrement tremblante. Un peu à l’écart, Sacha se tient près de Seung-Chul, les yeux vagues.
Sacha (murmurant)
Je suis heureux d’avoir pu lui dire au revoir. Je l’aimais bien ce vieux grand-père. Nos balades à moto avec lui, c'était... magique.
Seung-Chul (plus sombre)
Je ne l’ai vu qu’une fois... C’était... triste. La vieillesse peut être cruelle.
(pause)
Pourtant j’ai lu la joie sur son visage aveugle quand Sarah lui parlait. Perdu dans son monde, il percevait tout son amour.
Sacha essuie une larme, son regard errant sur les tombes environnantes. Il s’arrête soudain, figé. Il serre le bras de Seung-Chul avec une force inattendue, ses yeux fixés sur une tombe proche.
Seung-Chul (alerté par l’intensité de sa prise)
Qu’est-ce que...
Il suit le regard de Sacha et découvre une stèle avec deux photos : celle de Sacha avant son départ en OPEX, et celle d’un nourrisson, Mirage N’Gué-Borodine. Sacha porte une main à son cœur, ses genoux cèdent sous la douleur. Il éclate en sanglots, son corps secoué de spasmes. Seung-Chul s’agenouille à côté de lui, l'enveloppant de ses bras.
Sarah, finissant le poème, prend une poignée de terre qu’elle laisse couler sur le cercueil. Elle aperçoit Sacha, effondré, et pendant que la cérémonie continue, elle s’approche, s’agenouillant de l’autre côté.
Sarah (la voix brisée)
Je... je n’ai pas trouvé le moment pour t’en parler. Tout est allé si vite... puis il y a eu la fin de mon grand-père... J’ai oublié. Je suis tellement désolée que tu l’apprennes ainsi.
Sacha (entre deux sanglots)
Comment... comment c’est... arrivé ?
Sarah enfouit la tête de Sacha dans son giron, lui caressant doucement les cheveus. Seung-Chul reste agenouillé à côté, une main sur l’épaule de Sacha. Il est grave, compatissant.
Sarah (secouée, refoulant ses larmes)
J’étais enceinte d’un mois quand tu es parti. Je voulais te faire la surprise à ton retour. Mais tu as été porté disparu après un mois... Six mois plus tard, on m’a ramené ton corps. Mirage est né prématuré, cinq semaines trop tôt... Il s’est éteint après quinze jours. J’ai voulu que vous soyez ensemble, alors... son urne repose sur ton cercueil.
FIN DU FLASHBACK
RETOUR AU STUDIO
Léon, impassible mais agacé par leur distraction, interrompt leurs pensées.
Léon (impérieux)
Seung-Chul, reprends la pose ! Vous pourrez discuter après.
Mais avant qu’il puisse réagir, Sacha entre dans la pièce, l’air abattu. Sarah, instinctivement, se lève et court vers lui, nue, son cœur battant. Sacha, étonné, les traits tirés, sa barbe de deux jours brouillant son visage fatigué, les bras loin de Sarah pour éviter tout malentendu, la regarde sans comprendre.
Sacha (d’un ton monocorde, neutre)
Salut. C’est fait... je suis officiellement en vie. On peut divorcer.
Sacha semble ailleurs, son regard se perdant dans celui de Seung-Chul, cherchant une réponse. Seung-Chul se lève lentement, saisit une serviette qu’il enroule autour de ses hanches et prend au passage le peignoir de Sarah qu’il place sur ses épaules.
Seung-Chul (à voix basse, intense)
Ce que tu fais... c’est cruel. Pour lui... comme pour moi.
Sarah, une fois habillée, se tourne vers Seung-Chul, les yeux pleins de larmes, et s’enfouit dans sa nuque, sanglotant silencieusement.
Sarah (relevant la tête brusquement)
Mais il vient de perdre son enfant !
Seung-Chul la repousse doucement mais fermement, ses mains sur ses épaules, son regard brûlant d’émotion.
Seung-Chul (fort, désespéré)
Et moi, je perds ma femme !
Sacha s’approche alors, brisant le silence lourd qui s’installe. Il place une main sur chaque épaule, les yeux brillants d'une tristesse infinie.
Sacha (avec une calme détermination)
Moi, je l’ai déjà perdue... J’ai perdu un enfant que je n’ai jamais connu, et ma femme. Mais je n’ai pas perdu la vie...
Sacha récupère la serviette qui a glissé des hanches de Seung-Chul et la réajuste lentement tout en continuant de parler.
Sacha (d’une voix douce mais pleine de regrets)
Sarah a passé deux ans à faire le deuil de son mari et de son fils. Pour moi, c’était différent...
Son regard se plante dans les yeux de Sarah.
J’avais perdu la mémoire pendant que tu souffrais.
Sarah, toujours proche de Seung-Chul, le regarde avec une détresse évidente.
Sarah (au bord des larmes et se serrant fort contre Seung-Chul)
Je ne sais plus quoi faire ! J’ai tellement mal... pour toi, pour moi, pour Sacha...
Sacha (prenant une décision)
Il faut que ça s’arrête. Je n’ai plus ma place ici. Je pars... je retourne dans la Légion la semaine prochaine.
Seung-Chul, pris de panique, intègre Sacha dans leur étreinte désespérée, leurs fronts pressés les uns contre les autres. Le silence qui s'ensuit est lourd, chargé de tout ce qu'ils ne parviennent pas à exprimer. Les corps se touchent, mais l’intensité des émotions crée une barrière invisible entre eux.
Pendant tout ce temps, Léon s’est levé et n’a pas arrêté de prendre des clichés, sous plusieurs angles, profitant de l’intensité du moment, conscient de l’intimité de l’instant mais aussi du drame qui se joue devant lui.
Le temps semble suspendu autour d’eux, alors qu’ils réalisent, chacun à leur manière, qu’ils sont à un point de non-retour. Ils restent ainsi, unis par le contact physique, mais déchirés par les émotions contradictoires qui les habitent. Ils sont seuls au monde.
Léon, en retrait, abaisse lentement son appareil photo. Il ne dit rien, laissant le trio à son intimité, à sa peine. Il s’installe devant l’ordinateur et charge les photos.
Léon (d’une voix forte)
Fin de la séance. Venez voir les photos.
Tous se regroupent autour de l’ordinateur et observent le diaporama en commentant.
La détresse du moment s’est dissipée, laissant un répit de légèreté.
Quand les dernières photos arrivent, après l’arrivée de Sacha, le silence refait son entrée.
Les photos défilent sur l’écran. Léon a ralenti le rythme des photos. Le visage de Seung-Chul se ferme de plus en plus, celui des autres est mélancolique tandis que Léon affiche un sourire tendre.
À la fin du diaporama, tout le monde reprend son souffle.
Léon (tête penchée sur le côté, rêveur)
Tant d’amour exprimé !
Tant de désir refoulé !
Tant de convoitise dans les regards !
C’est magnifique !
Seung-Chul (visage fermé, ton cinglant)
Je suis pas un pédé !
Sarah se tourne, furieuse, et lui assène une gifle magistrale.
Sarah (furieuse)
Qui t’a appris ce mot à la con ? Tu as besoin d’exprimer ton hétérosexualité ? Pourquoi faire ? C’est tellement irrespectueux, infondé, ridicule ! Je n’aurais jamais cru ça de toi ! Surtout que tu lui as déjà roulé quelques pelles dis-donc !
Seung-Chul (la main sur sa joue, rebelle)
Ça c’était pour jouer !
Sarah
Pour jouer mon cul oui ! Sois honnête ! Tu l’aimes bien, c’est tout !
Sacha pose doucement une main sur l’épaule de Sarah.
Sacha (tendrement)
Il est coréen, Shogun. Là-bas, c’est encore tabou.
Sarah (le ton baisse un peu)
On parle de Saku, là ! Ce n’est pas n’importe quel coréen ! C’est le mien !
Sacha
Il a peur de son propre regard sur les clichés. Il n’a toujours pas compris.
Sarah (intriguée)
Qu’est-ce qu’il n'a pas compris? ?
Sacha ne répond pas, il tourne son regard vers Seung-Chul et pose sa main libre sur sa joue.
Sacha (tendre, compréhensif, les yeux rieurs)
Toi non plus visiblement.
Il se tourne vers Seung-Chul, avec tendresse.
Moi non plus, je ne suis pas “pédé”. Mais l’amour se fout du genre.
Silence
Et je m’en vais.
Seung-Chul (désespéré)
Sarah n’est pas prête !
Il se tait, baissant les yeux, gêné, puis reprend.
ON n’est pas prêts !
Donne-nous une semaine... Non. Même cinq jours seulement.
Sacha le regarde, hésitant.
Seung-Chul (en coréen, dans un gémissant.)
S’il te plait !