Épisode 13B
Le monde semblait s’être figé sur ce baiser. Cette image se juxtaposait aux gestes lents de ma reine qui venait vers moi en traînant les pieds, sa tartine à la main. Passant son bras libre autour de mes épaules, elle a posé un doux baiser sur mes lèvres étonnées<W, échange langoureux... et fatigué pour dire bonjour.
-"Bonjour My Star.
J’étais sidéré. Je la regardais, les yeux grands ouverts, bouche bée, tandis qu’elle s’installait pesamment en bout de table. Un regard à Sacha m’a suffi pour voir la même surprise inscrite sur son visage. Elle s’est servi un café, l’a humé avec délice :
-Aaaah ! Ça fait longtemps que je n’avais pas senti un tel parfum.
Une gorgée...
-Le meilleur café que je connaisse!
CE café ? Celui préparé par le Blondin ? Le ressentiment m’envahissait comme une vague déferlante. Ce manque de délicatesse était-il un signe annonciateur de la fin de notre relation ?
Peut-être pas, après tout: elle m’avait aussi embrassé. Était-ce le manque de sommeil... Nous l’avons observée manger sa tartine, boire son café, en silence, déconcertés.
Et puis la main du Blondin s’est levée pour toucher la cicatrice de Sarah du bout des doigts.
-Shogun ! Ta joue ! A-t-il murmuré horrifié.
Doucement, Sarah a saisi la main qui parcourait la cicatrice, y a posé un baiser et l’a ramenée gentiment sur la tasse du slave.
-Plus tard.
L’ambiance était à la morosité quand tout à coup, alors qu’elle portait la tasse à ses lèvres, Sarah a stoppé son geste pour la reposer, les sourcils froncés. Elle a lentement posé ses coudes sur la table et pris sa tête entre ses mains.
-Attendez, attendez ! C’est bizarre !
-Ah quand-même ! Avons-nous répondu en même temps.
Elle a relevé la tête pour déclarer en souriant :
-Oui, c’est bizarre: My Tsar, My Star... D’un geste de ses doigts, elle nous faisait remarquer l’inversion des lettres. C’est le destin : Vous étiez voués à vous rencontrer. A-t-elle ajouté dans un sourire distrait.
-c’est tout? (Ma question était pleine d’amertume.)
-Quoi d’autre? (Quel air innocent !)
-Tu l’as embrassé tout de même! (La colère remplaçait la stupéfaction.)
-N’importe quoi!
Mon regard était si insistant, qu'elle a fini par tourner la tête vers Sacha et a demander :
-Je t’ai embrassé? "
Double hochement de tête du Blondin et moi, d’un air entendu.
Long fondu au noir. Avant que l’image ne revienne, on entend le ronronnement d’un moteur d’avion.
Habitacle d’un Pilatus PC-6.
Il fait sombre.
Deux des trois sièges laissés à l’arrière sont occupés par Seung-Chul et Sacha. La seule lumière qui les atteint est celle des instruments de bord dans le cockpit, et la lumière de l’écran d’un téléphone.
Le premier, visage noir sous un casque noir, la visière relevée, lunettes de saut accrochées autour du cou, au-dessus de sa tenue de wingsuit noire, est penché sur son siège, coudes sur les genoux et visage tourné vers Sarah. Elle est assise sur ses talons et sourit en regardant son portable. Son visage est baigné de la lueur bleutée du petit écran.
Le second, visage et cheveux aussi noirs, même tenue, assis très inconfortablement l’épaule appuyée contre la carlingue, tête renversée sur le dossier du siège, laisse entendre un ronflement. Tous ont un micro fixé au casque.
Seung-Chul relève la tête pour parler à Sarah, en coréen.
"Tu ne serais pas mieux assise en tailleur?
-Très drôle ! Comment je fais avec cette tenue?
-Désolé.
-Pas grave.
-Et pourquoi regarder mon dernier film alors que je suis devant toi?
-Comme ça je t’ai en double. C’est magique. Je suis une fan comblée ! (en français)
-Vous parlez trop. Impossible de se reposer ici! Marmonne Sacha en français, tentant de trouver une position plus confortable, et qui ajoute d’un ton bougon : Elle est folle ! Un Seung-Chul, c’est déjà trop.
- Moi aussi je t’aime bien. J’ai répondu en français. Mais tu comprends le coréen maintenant ?
-Je le parle aussi un peu. À force d’entendre ses dramas, j’ai fini par me joindre à elle lors de ses cours en ligne.
-Au fait, tu as couché avec Elle ?
Sacha se tourne le plus possible vers la vitre.
-Crétin !
La voix de la pilote se fait entendre.
-Plus que 5 minutes, les enfants.
Sacha et Seung-Chul se déplacent pour s’assoir face à Sarah et tous trois entament une série d’étirements et d’échauffements, en parfaite synchronisation, comme une danse.
La pilote annonce les minutes qui s’égrainent. Enfin :
- Trente secondes. Ouverture de la porte.
Les trois S sont prêts. Sarah ouvre la porte. La pilote donne le départ à chacun à 5 secondes d’intervalle.
- Bonne chance à vous.
- C’est pas une question de chance, mais de préparation minutieuse et d’expérience! Déclare Sacha, le premier sorti.
- C’est ça. Ajoute le coréen moqueur.
- Arrête de te la jouer, my Star, et concentre-toi! On n’est pas dans un de tes films!
-Ok. Soupire Seung-Chul. Mais quand-même, j’ai envie de profiter du moment.
Positionné en deuxième ligne, il accélère légèrement en accentuant sa chute, se retourne sur le dos et se poste à un mètre sous Sacha.
Sacha : Patin, Sakura! Fais pas le con! Qu’est-ce qui te prend?
Sarah : Bah, laisse-le "profiter" pendant qu’il peut encore, va.
Seung-Chul : Alors? Tu as couché avec Elle?
Sacha : Crétin !
Tu es jaloux?
D’elle ou de moi?
Seung-Chul : Crétin !
Sarah exécute la même manœuvre que Seung-Chul pour se placer à peine à un mètre de lui sous Sacha.
Sarah : Mais de qui vous parlez à la fin?
Sacha (en colère): Mais arrêtez de faire les cons! On va y rester à ce rythme! On n’est pas en vacances!
Seung-Chul : Ça va! T’énerve pas! T’es pas drôle dis-donc!
Sacha (il crie): Reprenez la formation bord...!
Les deux autres en choeur : Sir! Yes Sir!
Sarah et Seung-Chul décrochent ensemble, chacun d’un côté, pour se placer en retrait de Sacha, en formation triangle.
Sacha : Crétins! Vous êtes vraiment fous à lier!
Seung-Chul : Alors, t’as couché avec elle ou pas?
Sarah : Allez, quoi, répondez-moi! T’as couché avec qui?
Fondu enchainé.
Quelques jours plus tôt, à Mévouillon.
Les 3S devant la grande porte cintrée d’une vaste vieille grange.
Sarah ouvre l’ancienne porte de bois et nous fait entrer. La lumière entre par les vitres du haut des murs en pignon. C’est une grande salle manifestement transformée en gymnase. Une moitié est couverte d’un épais tatami vert pour un bel espace d’entrainement aux arts gymniques et martiaux, l’autre moitié est recouverte d’un plancher lisse et clair. Des espaliers sur les murs entourent le tatami, des barres de danse sont fixées aux murs côté parquet. Deux immenses miroirs muraux se font face, se renvoyant notre reflet. Nous avons l’impression d’être neuf dans la salle. Le haut mur entourant la porte a été aménagé pour l’escalade et de longs tissus pendent de la ferme centrale, marquant une séparation entre les deux espaces. Sacha tourne sur lui-même, admirant le travail réalisé. Sarah s’approche de lui et se glisse sous son bras, contre lui.
" Tu reconnais notre rêve? " Demande-t-elle, balayant l’espace autour d’elle pour montrer la salle de son bras libre. Étonné, Blondin pose son regard sur elle, puis sur moi. Il remarque mon attitude oscillant entre la colère et la stupeur, et tout en m’observant, il écarte Sarah doucement, pendant que je la prends par la taille et la fais revenir contre moi. Déséquilibrée, Sarah se raidit, secoue la tête comme pour se réveiller. Elle tourne un regard éploré vers moi, puis vers Sacha.
" Je suis perdue! Je ne sais plus où j’en suis. Excusez-moi! Depuis ton apparition hier soir, je suis déboussolée. Laissez-moi du temps pour remettre mes idées en place. "
Un long silence gêné s’installe. Sacha en profite pour visiter.
" Oui, je reconnais notre rêve.
Il s’arrête devant le mur d’escalade.
Je peux essayer?
-fais-toi plaisir. Enfile le baudrier, c’est moi qui t’assure. C’est haut et pas de tapis ici.”
Pendant qu’elle assiste l’ascension du Tsarévitch, Sarah m’explique d’une voix grave où perce la nostalgie.
"La famille, Sacha et moi rêvions d’aménager un endroit pour organiser des stages de remise en forme, via les arts martiaux, la calligraphie, l’acrobatie, en les combinant avec une école de parapente. Nous voulions l’appeler «Hwarang* Dojo». Nous avons acheté la ferme où nous étions locataires, avec cette immense grange et nous avions préparé les plans d’aménagement. Sacha n’a connu que les débuts d’aménagement de la ferme. Le propriétaire nous a fait un vrai prix d’amis, la commune a pris un tiers des travaux en charge en échange d’une journée d’intervention gratuite pour les écoles, et d’une journée d’initiation parapente et bi-place par an.
Sacha (se hissant au-dessus du dévers): Tu as fait ça toute seule?
Sarah : Non, j'ai été très entourée. À ta mort, les banques m’ont refusé le prêt pour les travaux de la grange. Alors, tout le village s’y est mis. Je paie les artisans par des cours à vie, une cagnotte virtuelle a été organisée, et voilà le résultat.
Sacha (arrivant en haut de la voie): Sec! (Terme d'escalade qui signifie à celui qui assure d'en bas de ravalerla corde au maximum pour que le grimpeur puisse s'assoir dans le baudrier et descendre)
Et pendant que Sarah le redescend en moulinette, il ajoute en regardant autour de lui. C’est magnifique !
Sarah se tourne vers moi pour remarquer : Ça n’a rien à voir avec tes cachets de vedette, mais nous arrivons à vivre correctement grâce aux stages. Et c’est la vie que j’aime.
Moi : J’ai eu un aperçu de ta vie ces dernières semaines en France. C’est une toute autre ambiance qu’à Séoul. C'est bien plus calme... Mais finalement, j'aime bien... Mais la vie à Séoul va finir par me manquer...
Silence
On lui montre comment on grimpait à notre rencontre?
-Frimeur! "
Juste à ce moment, la porte du vestiaire s’est ouverte sur une jolie blonde portant un débardeur scintillant rouge sur un justaucorps noir. Au premier regard, elle était mignonne: elle ne devait pas dépasser le mètre soixante-cinq, de belles formes pleines et sportives, cheveux blond-doré, plus clairs que ceux du russe. Mais quand elle vous regardait de ses grands yeux gris-bleu cernés de noir, avec son nez fin et ses lèvres rieuses, ses fossettes aux joues et son air mutin, elle n’était pas mignonne ou charmante: c’était une charmeuse.
Elle s’est avancée vers nous, pieds nus, et a tendu une tunique à paillettes verte à Sarah.
"Tiens! Ta mère m’a donné ta tenue.
Puis la parcourant du regard de la tête aux pieds, elle s’est étonnée :
Ben tu n’es pas prête?
-Oh patin, Marielle! J’ai oublié!
-Bon sang Sarah! C’est toi qui as fait des pieds et des mains pour participer à la journée du sport, ici, avec ce numéro, et tu as oublié?
-Ne m’en veux pas... J’ai une excuse...
-Ha! Bien-sûr! Comme d’habitude! Tu m’as assuré qu’une semaine suffirait pour monter le numéro! Mais encore faudrait-il s’entraîner non?
-C’est que...
-C’est déjà pas gagné, alors, si tu oublies!
Elle se tourne vers moi pour ajouter :
- Bon sang Seung-Chul! Tu m’avais assuré que tu l’aiderais à tenir sa promesse! Et...
S’apercevant de la présence de Sacha qui se défaisait de son baudrier, sa voix s’éteint et ses yeux s’agrandissent.
Sarah répond calmement:
-Je te présente...
-Sacha! LE Sacha! Ton Tsar! C’est ça? Celui de la photo dans ton portefeuille?
Regard furtif de ma reine vers Sacha, puis moi.
-Oui... Enfin... Hum!
Je te présente Sacha, feu mon mari.
-Tu m’avais dit qu’il était m... FEU ton mari?!
-On l’a retrouvé hier au bal de Mévouillon.
-Mais c’est rocambolesque ça! Il réapparaît au bout de trois ans comme si de rien n’était?
-J’étais légionnaire en mission en Ukraine. Mon hélico a été abattu près de la frontière russe et j’ai perdu la mémoire.
-Oh Patin l’embrouille! s’écrie la blonde portant la main devant sa bouche.
Ce à quoi nous répondons tous les trois en chœur:
-Tu l’as dit! "
Silence... Que je romps, intrigué.
-"Et moi? Tu as aussi ma photo dans ton portefeuille, j’espère! Je n’ai pu empêcher l’amertume de ma voix.
-Pas besoin : je t’ai avec moi tout le temps. Dit-elle avec un bisou dans le cou.
Cette réponse calculée me fait fondre!
-Bonne réponse. Bien joué. " Je l’enlace en la soulevant et enfouis ma tête dans son cou. Je suis aux anges, soulagé. Tout en la tenant dans mes bras, je lance un défi à mon rival :
"Blondin, une séance de combat ou d’escalade pendant que ces dames répètent?
-J’ai été commando dans la légion... Même après trois ans, t’as aucune chance contre moi, l’acteur.
-Ok... Petit combat à l’amiable alors...
Nous nous sommes salués goguenards devant le tatami. Au moment d’entrer sur le tapis, la voix grave de ma reine a éclaté:
-Enlevez vos chaussures! Et il y a des tenues au vestiaire! Bande de coqs! "
Fondu au noir.
Dans la cuisine, deux heures plus tard. C’est le soir.
Les trois S et Marielle sont attablés autour d’une bière.
Marielle : Eh ben quelle histoire ! Mais où sont Maroussia et Éléna dans tout ça?
Sarah : Elles sont encore chez mon fils. Elles se reposent. On les verra demain.
Marielle : Bon, je résume: tu es maintenant entourée de deux hommes. Tu vas faire quoi?
Sarah : C’est une situation cruelle, pour nous trois.
Mais de toutes manières, pour moi comme pour les autres, trois ans ont passé.
Seung-Chul est maintenant mon compagnon. Je resterai avec lui, mais une partie de moi saigne.
Sarah regarde tour à tour Seung-Chul et Sacha, les larmes aux yeux.
Je suis désolée my Tsar. Tu n’es plus mon mari. Mais c’est cruel! Je voudrais quand-même te garder au moins près de moi... Comme ami... Comme frère..."
Sa voix tremble.
Un lourd silence s’installe. Tous ont le regard baissé. Alors, Marielle se redresse, boit une grande rasade de bière et dit d’un ton faussement enjoué:
"Bon, Sacha est libre alors!"
Elle se tourne vers le grand blond, le regard espiègle.
"Pour fêter ton retour, je t’invite au resto du coin.
- Ben et nous alors? demande Sarah étonnée.
- Eh! J’ai pas besoin de vous pour draguer un beau gosse non?
De ses beaux yeux gris, elle regarde Sacha du coin de l’œil, par-dessous ses longs cils noirs, son sourire à fossettes enjôleur, et lui lance un clin d’œil plein de promesses. Sacha se met à rire en renversant la tête en arrière.
-Ok, Beaux-Yeux. Laisse-moi une heure pour me préparer et je te rejoins là-bas.
-Tope-là Beau-Gosse. À tout à l’heure. "
La jolie blonde se lève, finit son verre et sort. Sacha s’étire sur sa chaise, sourire aux lèvres, puis croise les mains derrière la tête d’un air satisfait.
Zoom sur Sarah qui croise les bras, incrédule, puis gros plan sur Seung-Chul, sourcils froncés, mine sombre.
Fondu au noir.
Déstabilisés par la tournure des événements, Sarah et moi sommes restés longtemps assis à nos chaises. Sacha était en train de se préparer pour son rendez-vous.
Quand il nous a rejoints dans la cuisine, fin prêt, j’ai eu un choc : on aurait dit un modèle habillé pour une séance photos. D’habitude, c’est moi l'Apollon. Et puis modèle, c’est mon métier. Mais là, ce blond athlétique, vêtu d’une chemisette à zip jaune paille assortie à ses baskets, et d’un simple jean délavé déchiré aux genoux, même moi, je n’étais pas insensible à sa beauté. Sa crinière dorée ramenée en arrière par une demi-queue de cheval, ses yeux caraïbes cernés de ses longs cils blonds, il s’est planté devant nous, un sourire désarmant aux lèvres, et a fait un tour sur lui-même, bras écartés.
"Comment vous me trouvez ? Ça lui plaira?"
Fondu enchaîné. Retour au vol.
Ouverture des parachutes.
Sarah : Aaaah! Ça me revient! Alors? Tu as couché avec elle?
Sacha : Bon sang! Vous n’allez pas me refaire une scène de jalousie! J’ai eu ma dose! Et c’est pas le moment!
Fondu au noir.
La lumière jaune des lampadaires éclaire le pont Pavlograd, entre Lysychansk et Sievierodonetsk, tombé aux mains des russes. Deux soldats armés montent la garde derrière la barrière frontière, à l’entrée du pont. La musique et les cris venant de la piscine de la grande villa, ancienne résidence de vacances de Vladimir Gorbatchev du temps de l’URSS, contrastent avec le calme des berges de la rivière Donets.
Les soldats restent silencieux. La maison est à une centaine de mètres, cachée derrière un rideau boisé, et pourtant, les hurlements des « invités » du commandant et de ses hôtes, des officiers du groupe Wagner, couvrent le son de la musique. Le visage des sentinelles se ferme à chaque cri. Ils ne disent rien, mais des larmes coulent du visage du premier et le deuxième ne peut empêcher le tremblement de ses mains sur sa mitraillette. Leur tâche est de surveiller le pont, alors, le regard perdu vers l’autre rive, ils se ferment comme ils peuvent aux hurlements de souffrance. L’un d’eux écarte sa mitraillette pour prendre une cigarette dans sa poche pectorale. Il en tend une à son collègue, puis sort son briquet pour les allumer. Aucune parole n’est prononcée. Ils ne se regardent pas. Ils savent que l’autre lira la honte sur son visage. Pendant cet échange, ils ne remarquent pas les trois ailes noires qui passent au-dessus d’eux, suffisamment haut pour ne pas être éclairées par les lampadaires. Le discret sifflement des parachutes est couvert par la musique et les cris. Les silhouettes, noires sur fond noir, survolent les bois derrière la maison, longent la lisière du champs juste derrière, et se posent à dix mètres des grands arbres, sur le sol nu qui sert maintenant d’aire de garage aux chars, camions, voitures et hélicoptères.
À peine arrivé au sol, Seung-Chul se retourne pour affaler son aile dans un bruit de ressac, suivi de près par les deux autres. Il enlève son casque rapidement, le laisse tomber sans ménagement sur le sol, ôte ses lunettes de vol qui pendent de nouveau à son cou, puis lève les bras au ciel en commençant un yahou à tue-tête. Sacha se précipite sur lui pour le réduire au silence avec sa main. Seung-Chul étouffe son cri, débarrasse le russe de son casque, soulève ses lunettes sur son front, puis écarte la main du russe toujours sur sa bouche. Son regard est de plus en plus malicieux. Il plaque un baiser retentissant sur les lèvres de Sacha. Puis il recommence immédiatement, baiser plus long, plus sensuel, plus chaud. Quand il s’éloigne enfin, c’est pour chuchoter audiblement en sautillant comme un enfant:
"C’était grandiose! Extraordinaire! Le pied! Je me sens vivant comme jamais! Un saut de 4000m! 8km parcourus! J’ai assuré hein, pour un premier vol en wingsuit!
Il se précipite sur Sarah, qui a enlevé lunettes et casque, pour l’embrasser longuement à son tour.
-C’est comme après la cascade à moto, à Bija-Ri. Tu te souviens? C’était magique!
Il approche de nouveau ses lèvres vers elle quand un bruit sourd se fait entendre derrière eux. Ils se retournent étonnés. Sacha est tombé au sol, une jambe repliée sous lui. Ses yeux bleus grands ouverts paraissent lumineux sur sa face noire. Il est visiblement choqué. Seung-Chul s’approche de lui pour l’aider à se relever.
- Oh, ça va! C’était un petit bisou de rien du tout! C’était pour prolonger ce moment de vie, c’est tout! Et c’était même pas la première fois! Pas besoin d’en faire un plat.
Sarah s’immobilise près d’eux.
-Pas la première fois?
Mais Sacha ne l’entend sans doute pas: il regarde toujours fixement le coréen, ébahi. Il ne remarque pas la main que lui tend celui-ci. Puis ses yeux se tournent lentement vers Sarah.
- Son premier vol en wingsuit? De nuit? Dans un pays en guerre? Sa voix est sourde, monocorde.
- Ben quoi? J’ai été dans l’équipe nationale de chute libre pendant mon service militaire. J’ai même gagné un championnat à Madrid.
- Oui, mais en wingsuit...
- Ben il ne voulait pas me laisser t’accompagner sans lui. Alors, je l’ai laissé venir. Mais je savais qu’il pouvait le faire. Il est tellement... incroyable! C'est ma Star!
Elle se tourne vers Seung-Chul:
Dis, qu’est-ce qu’il voulait dire par « pas la première fois? »
Sacha se relève, refusant l'aide du coréen, il s'occupe de ranger sa voile.
-Incroyable, c’est sûr! Je suis en mission de sauvetage en terrain ennemi avec deux cinglés! Cette fois, je suis mort!”
Les 3S ôtent leur costume et rangent leur voile dans la poche dorsale. Ils ont atterri à 20 mètres du bois qui longe la route. Une fois l’aile pliée, ils passent une sangle du parachute sur l’épaule, le costume bat sur leur flanc. Ils remettent leurs lunettes qui captent les infrarouges et tournent enfin la tête vers la forêt. Ils n’ont pas à attendre longtemps avant de repérer le signal lumineux sous le couvert des arbres. Les deux hommes en tête, ils s’avancent silencieusement vers la lueur rouge. Au bout de dix pas, Seung-Chul chuchote à l’attention de son voisin:
“Notre Sarah est maître dans l’art de la furtivité ! On ne l’entend pas.
-Normal, elle n’est plus là.
Le coréen tourne vivement la tête pour constater sa disparition.
-Elle est où?
-T’inquiète! Elle nous rejoint plus tard.
-Tu es sûr?”
En guise de réponse, Sacha pose sa main sur la bouche de Seung-Chul, il lui fait signe avec son index de ne plus parler. Les deux hommes avancent lentement, voûtés, tenant leur costume en boule sur un bras pour éviter de l’accrocher à la végétation.
Au bout de quelques mètres sous les arbres, ils retrouvent deux hommes en uniforme de l’armée russe, le plus petit en retrait. Ils sont silencieux. Sacha et Seung-Chul remarquent trop tard que le grand a les bras levés.
“Ainsi voilà notre traître !”
C’est le soldat de derrière qui a parlé. La voix moqueuse d’un prédateur.
Hwarang (source wikipédia et netflix):
On appelle Hwarang (ou Sonrang) une confrérie militaire du royaume de Silla.
Le terme Hwarang signifie Jeunes gens fleur ; on pourrait le traduire par la fine fleur de la jeunesse, ou encore les Chevaliers fleuris mais l'expression, même si elle signifie pour une part l'élite de la jeunesse, ne se limite pas à cela. En effet, les Hwarang alliaient l'excellence militaire, intellectuelle et artistique : la beauté de la fleur sert ainsi à décrire l'autre versant du corps militaire. Le Hwarang-do (où do signifie voie) est ainsi la voie de l'humanité florissante, car cette excellence individuelle devait profiter à toute la communauté.
Ne pas manquer ce super drama.