Scorpions: Wind of change
Images du vieillard écrivant, rêvant.
Musique 2e mouvement 7e symphonie de Beethoven.
Voix off sur la marche dans le couloir, descente des escaliers.
Visuellement : Lara explique au bord de l’eau le premier enchaînement, alternance des plans collectifs et des gros plans sur les évolutions de Sarah et Seung Chul
Musique L’aquarium de Camille Saint Saens
Chapitre 3
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Tête à tête dans le réfectoire avec la belle noire. Sarah demande ce qui me tracasse.
Je réponds que je suis vraiment heureux pour elle qu’elle fasse ses premiers pas dans le cinéma.
"Harmony of minds" est un excellent Drama, et vous y voir, même en tant que cascadeuse me fera vraiment plaisir. Mais je suis jaloux de Kang Jae Wook ! Pour le rôle, pour les cascades et ... le reste."
Alors elle s’est penchée vers moi, ses lèvres contre mon oreille. Chuchotements, papillons… Reine de la séduction ! Mon maître en la matière.
-C’est juste un bon et bel acteur, mais vous êtes MA star. Et ce ne sera que du cinéma. Souvenez-vous de ce que je vous ai promis...
Elle a repris sa place, ses yeux rieurs plantés dans les miens, sourire alléchant. Ne pas tomber amoureux ! C’est moi le chasseur !
Je repasse la première soirée mentalement, je me mords les lèvres, je fais la moue :
" si vous réussissez le porté, je deviens votre coatch. "
-Non, pas ça. Dit-elle, comme si elle lisait dans mes pensées.
Alors, je revois notre Korean kisseu, nos corps qui se rapprochent sous le regard amusé des autres, douceur, chaleur et papillons.
-Non plus.
Bon, alors je repasse le film du matin : le French kisseu qui n’en finit pas, une éclosion explosive de papillons dans mon ventre.
-Presque… Dit-elle avec un clin d’œil ravageur.
Le dernier enjeu de ce matin !
-Vous y êtes. Susurre-t-elle.
Mes lèvres s’entrouvrent pour former un "oh" silencieux, mes yeux se ferment à demi… C’étaient maintenant des dizaines de colibris qui volaient frénétiquement dans mes tripes.
-Ah revoilà MY Star ! " Murmure-t-elle encore.
Sourire chaleureux, regard brûlant.
La faim me dévorait. Je n’avais jamais été amoureux, je ne savais donc pas ce qu’on éprouve… Mais ça ne devait pas être loin de ce que je ressentais ! Et je ne voulais pas de ça ! Trop tôt ! Je devais tourner les yeux, échapper à son regard ! Mais je n’en avais pas la force.
"On les rejoint ?" dit-elle subitement, en se levant d’un bond. Se-Wi vous attend.
Nous nous sommes introduits silencieusement dans la salle où la projection avait commencé. Quand je me suis assis à côté de Se-Wi, Christian Dupape était penché vers elle et chuchotait à son oreille. Se-Wi n’avait pas gardé de place pour Sarah, qui s’est placée au dernier rang, juste derrière moi. Sous prétexte de me parler, Christian s’est penché plus que nécessaire devant Se-Wi en posant négligemment sa main sur sa cuisse dénudée. Sarah, qui s'était rapprochée de nous lui a donné une méchante tape sur l'arrière du crâne en le rappelant à la bienséance et au respect, pendant que je saisissais fermement la main de Mo-Jun pour la remettre sur l’accoudoir. Je n’ai pas du tout aimé le regard qu’il m’a lancé à ce moment-là. Se-Wi-ha a tourné sa frimousse vers moi et a pris délicatement ma main, que j’ai retirée très vite, gêné… Je ne savais même pas pourquoi. Pourquoi j’étais gêné ? Pourquoi elle m’avait pris la main ?
Nous nous sommes renfoncés dans nos fauteuils tandis que Lara Mandou, la spécialiste des cascades sous eau, est entrée pour s’entretenir à voix basse avec Sarah-Shi. Quand la cascadeuse est sortie, La belle noire s’est s’est adressée à ma petite soeur à voix basse.
"Se-Wi-Shi, puis-je vous emprunter Seung-Chul pour la soirée ? J’ai besoin qu’il m’aide à répéter la scène de cascade que je dois tourner bientôt. Il a déjà travaillé au filin et j’ai grand besoin de ses conseils. (Et s’adressant à moi) Seung Chul, cette fois je vous demande d’être mon coatchenim. Êtes-vous partant ?"
Ayant obtenu l’accord (boudeur je dois dire) de Se-Wi, je me suis levé, et, rattaché à la belle noire j’ai pris la main de Se-Wi pour la conduire au dernier rang, loin de Christian. Puis Sarah et moi, nous sommes sortis. Christian en a profité pour s’asseoir de nouveau à côté de Se-Wi.
Arrivés dans le gymnase, Sarah a enfilé le harnais pour les cascades sur filin. Et sérieusement, je me suis fait un très grand plaisir en l’aidant à attacher et serrer les sangles. Mes propres sensations quand j’étais à sa place me revenaient avec plaisir, et aussi beaucoup de nostalgie. Mais surtout, être si proches, face à face, sentir la chaleur et le souffle de l’autre, l’aider dans une tâche technique qui demande fermeté et précision, savoir qu’elle me fait confiance et met sa sécurité entre mes mains…
Excitant…
Angoissant…
Dangereux.
Complicité, confiance, chaleur, gestes précis et expérimentés.
Nos mains qui se frôlent fatalement, naturellement.
Je suis dans une bulle de partage et de concentration.
Silence dans ce grand gymnase frais.
Écho de chaque petit cliquetis du matériel qu’on manipule.
Lumière jaunâtre et blafarde de cette grande salle.
Ambiance que j’aime encore maintenant, bien que je n’y aie plus accès... Et qui me manque profondément.
Sarah est prête au bout du filin, je tiens la télécommande dans les mains, assis sur le gros tapis de chute au centre. Mon rôle est de gérer la vitesse du treuil pour la soulever pendant qu’elle grimpe le long du mur d’escalade, à la manière des ninjas noirs de nos dramas d’époque : rapides, souples et silencieux. Bon, là forcément, c’était moins silencieux vu le bruit de la mécanique.
J’ai dû m’y reprendre à plusieurs reprises pour comprendre et appréhender les mouvements que je devais produire avec la manette, et la puissance que je devais y mettre. Ce qui nous a fait passer une bonne demi-heure de fou-rires. Sarah était comme ça : tout l’amusait… ou presque. La reine noire était le plus souvent pendue en l’air à essayer de récupérer les prises d’escalade, ou s’envolait radicalement vers la charpente, ou encore chutait d’un ou deux mètres en plein milieu d’une descente. Au bout d’un temps, j’ai fini par maîtriser mes commandes, ce qui a permis à l’apprenti-cascadeuse de faire une dizaine de montées gracieuses et rapides de bandit mercenaire (c’était tellement elle ça.) Concentré sur ma tâche, je prodiguais des conseils selon ma propre expérience.
Et puis Sarah a estimé que c’était suffisant. Revenue au sol, elle s’est défait de sa jambière pour la fixer à ma jambe gauche, les a attachées ensemble et m’a aidé à me sangler dans le harnais qu’elle venait de quitter. Sans me laisser le temps de me mettre debout, elle a saisi la télécommande et m’a soulevé dans les airs. La poussée était tellement puissante que j’ai failli me cogner la tête dans les rails . J’ai pesté en sa présence pour la première fois. Je me suis fâché et l’ai sommé crûment de me faire redescendre. Elle a obtempéré : j’ai chuté d’au moins trois mètres. J’ai hurlé de peur. Sarah, qui au départ avait trouvé que c’était une bonne blague m’a déposé à terre, penaude. Quand mes pieds ont touché le sol, elle s’est agenouillée devant moi, me demandant pardon. Ma peur et ma colère ont fait place à de l’étonnement. Être à genoux comme ça me semblait exagéré.
"Pardonnez-moi : je viens de me souvenir de ce que ça fait d'être à la merci d'une personne idiote. Vous étiez entièrement impuissant et j’en ai profité pour vous faire peur... Je pensais juste vous taquiner. J'ai eu tort.
- Merci de ne pas avoir insisté. Mon père, une fois, s’est amusé à me pousser hors du bateau. Il ne me laissait pas remonter à bord. Je savais nager, mais j'ai bu la tasse, j'ai paniqué, je me suis mis à hurler de peur et de colère. Il a beaucoup ri. Ma mère était en plongée à la pêche aux ormeaux. Quand elle a refait surface et a vu la scène, elle n'a rien dit. Elle est remontée à bord, m'a aidé à faire de même puis elle a poussé mon père dans l'eau, elle a mis le bateau en marche et nous sommes rentrés au port. Elle lui a juste lancé un gilet de sauvetage avant de partir. Il n'a jamais recommencé. Il avait compris la leçon.
-La toute puissance des hommes!
-Plutôt leur arrogance.
Je l’ai relevée pour l’assoir sur le tapis.
- J’appelle ces comportements: "rappelle-toi bien qui est le maître".
-Je vous demande pardon. Mon intention n’était pas de vous dominer. "
Elle était si gênée, si malheureuse, que je l’ai prise maladroitement dans mes bras, les deux jambes sanglées, manquant tomber lourdement sur elle.
"Je sais. "
Et de nouveau, mes lèvres se sont affolées et j’ai déposé un… deux… plein de baisers très doux dans son joli cou… Ça lui a plu, mais…
Et tchaaaa ! Je me suis retrouvé à mi-hauteur du plafond.
"C’est pas l’heure, mon p’tit cœur* !" a-t-elle déclaré dans son beau sourire coquin. L’entraînement était reparti. La-haut, Sarah m’a fait déplacer lentement dans les rails, de sorte que j’ai écarté les bras, à l'horizontale. Je planais, tel un corbeau, confiant et exalté, Ma coatchenim m’a fait monter, plonger, voler de main de maître en prodiguant moult conseils pour que je garde l’équilibre et exécute les figures correctement, utilisant le moindre muscle à bon escient.
Nous avions commencé l’entraînement en survêtement (gracieusement offert par le centre avec dans le dos leur logo et celui de l’Ekpè2). Et nous avons fini la séance en t-shirt et legging tant l’exercice était ardu. Une fois les cascades terminées, nous nous sommes jetés sur le tapis de chute dans un grand plouf, comme deux araignées écrasées, l’une sur le ventre, l’autre sur le dos. Halètements, reprise de souffle, visages ruisselants. Sur elle, tout était beau: perles de sueur sur son beau visage, le long de son cou si… appétissant.
Et voilà que ma fatigue disparaît. Je perds encore une fois le contrôle de mes mains, de mes doigts qui suivent le parcours de ces gouttes sur ses joues, sa nuque, ses épaules… Elle me laisse faire. Enhardi, je me retourne sur le côté, me rapprochant. Tout en continuant de dessiner des sillons humides sur sa peau, je dévore ses lèvres des yeux. Elle semble endormie, paisible. Et puis brusquement, elle ouvre ses grands yeux noirs, pose un regard intense sur moi pour proposer :
"Cette nuit ? "
Images du vieillard écrivant. Il relève la tête, rêve. Revient à son écrit... En coréen.
Pour le coup, j’ai cédé à ma voracité. Je ne sais pas si notre baiser était coréen, français ou même martien, mais "bon sang que c’était bon !" comme elle disait souvent.
Et encore un moment d’éternité, un !
J’en plaisante, mais comme tout ça me manque !
Puis Sarah s’est dégagée brusquement de mon étreinte, s’est levée d’un bond en s’écriant : "À la douche !" Nous avons ramassé nos affaires, nous sommes rattachés, avons éteint la lumière en refermant le gymnase derrière nous.
"Mais les douches sont par-là ! Ai-je remarqué quand elle a tourné à l’opposé du vestiaire.
-Faites-moi confiance, m’a-t-elle répondu en me serrant plus fort contre elle. Je vous conduis vers votre nuit magique. "
Marche dans les couloirs et arrivée devant l’entrée de la piscine. Sarah a ouvert la porte avec la clé que Lara lui avait donnée dans la salle de projection. Entrée dans le grand bassin sous la douce lumière de la lune et des lampadaires pénétrant par la grande baie vitrée donnant sur le parc… J’oublie la lumière douce et verte des boitiers lumineux indiquant "sortie de secours". Toute une ambiance étrange, intime dans cet endroit qu’on ne fréquente généralement que le jour. Passage de Sarah dans le bureau, le bassin s’éclaire d’une belle lueur bleue. Puis éclairage de la partie sanitaire. Elle me rejoint, m’enlace, m’embrasse… Nous semons nos vêtements comme le Petit Poucet dans notre lente, très lente progression vers les douches.
Même image du vieillard écrivant, rêvant.
Dans la cabine, jet d’eau rafraichissant, caresses, baisers… carré blanc. Ces moments nous appartiennent, ils étaient beaux, chauds, intimes, exaltés, intenses, infinis. Je vous donne juste le droit d’imaginer.
Quoi qu'il en soit, aucun mot ne décrirait correctement nos émotions, nos sensations, notre faim, notre plaisir. Ce n’étaient même plus des colibris qui fouaillaient mes tripes, c’était un volcan dans tout le corps. Visiblement pareil pour la reine noire. Je me demande, encore maintenant, comment nous avons pu ressortir de cette douche frais, lavés, sentant la lavande et l’eucalyptus.
Le bassin était équipé de matériel d’entraînement aux cascades sous l’eau, et nous avons su en user avec délice. Plongeons, contacts en immersion, jeux de poursuites dans la cage à écureuil immergée. Là, je me sentais moins handicapé par ma jambe droite. Croisements-caresses dans le tunnel au fond du bassin, ou passage côte à côte. Attachés l'un à l'autre: courses, sauts et chutes sur le long tapis souple allant du bord au centre de la piscine, comme un ponton.
Et caresses, baisers. À user notre peau.
Enfin, nous avons installé le gros tapis large comme un lit dont nous avions besoin au milieu du ponton. Nous nous sommes peu reposé bien sûr. Découverte de l’autre, pas un centimètre de nos corps frémissant n'a été oublié. Caresses et massages transcendants, accompagnés d’une mélopée murmurée, sans mots, envoûtante. Elle avait raison (mais elle avait si souvent raison) : j’ai goûté au PESP et c’était… grisant, époustouflant, extraordinaire. Et j’ai réalisé que je n’y connaissais finalement pas grand-chose en plaisir. J’ai aussi réalisé que je ne ressentirais plus jamais l'exaltation de la nouveauté. La nuit allait bientôt s’achever.
Alors plaisir… Mais peur.
Peur que ça finisse trop tôt.
Peur de ne plus jamais connaître ça.
Peur d’être amoureux.
Peur de la perdre mais peur d’être dépendant d’elle.
Plaisir et peur ! Mélange extraordinaire.
Nous nous sommes enfin endormis dans la douce fraicheur de l’air, bercés par les vaguelettes générées par nos mouvements. Douceur et chaleur de nos corps repus enlacés, plongeon dans un sommeil sans rêve… Réveil… Tendresse… Sommeil…
Réveil au petit jour, soucis de ne pas gaspiller le peu de ce temps de grâce qui nous reste. Alors PESP !
Douche, remise de nos vêtements humides de la veille, rangement du matériel, prolongement de cette intimité avec une marche au soleil naissant, sur le circuit désert, avec force rires, bousculades, taquineries, embrassades.
Images du vieillard écrivant, rêvant. surimpression : escalade
Arrivée au réfectoire par le mur d’escalade. Oui, malgré notre fatigue, on a osé! Bien-sûr, nous avons pris la voie la plus facile, mais je reconnais avec le recul que l’euphorie nous a rendus assez inconscients du danger. En même temps, nous étions jeunes et nous avons eu raison de profiter de chacun de ces instants magiques de la vie. Pour cette escalade improbable, nous avions sanglé mon pied droit sur son gauche. Je laissais Sarah choisir les prises pour nos deux pieds : elle y installait le bout de son pied et je devais me tracter avec les bras pour soulager sa jambe gauche qui soulevait nos deux jambes. Nous l’avons fait ! C’était grisant. Et quelle satisfaction, quelle fierté !
Incrédulité, admiration et applaudissements des collègues déjà sur place. Retour à l’anglais. Sans m’en rendre compte, j’avais laissé Sarah s’exprimer en coréen toute la soirée et toute la nuit, sans faire l’effort de changer de langue. J’ai réalisé à ce moment-là à quel point c’était généreux de sa part.
Céline Vigne : Quelle pêche de bon matin ! (ah non, ça, c’était en français)
Kev Luz traduit en anglais.
Nam Ji Han (qui partageait normalement la chambre avec Sarah) : Avez-vous bien dormi ? (Sourire complice à Lee Chang Joon, qui saisit sa main et la porte à ses lèvres.) Sourire de toute la table. Se-Wi n’est pas encore là.
Sarah : Après la répétition de la cascade au filin, j’étais vraiment épuisée, alors oui, j’ai bien dormi. (clin d’œil à Nam ji-Han)
Moi : Et comme Miss Sarah a tenu à faire ma rééducation au filin, moi aussi, j’ai bien dormi !
Céline : Eh ben bravo ! On vous a attendus, nous ! Sarah nous avait promis une tournée générale !
Sarah : Oups ! Je suis vraiment désolée ! Je reporte à ce soir alors ! Vraiment, pardonnez-moi.
Kev Luz : Pour te faire pardonner, ce soir, tu nous emmènes aussi pour ton entraînement. On aimerait voir ça ! Et peut-être qu’on pourra aider…
Go Doona : Bonne idée ! On passerait une bonne soirée !
Sarah : Okay ! Avec plaisir. Ce soir vous êtes bienvenus. Cette fois je devrai répéter un combat au bâton. Si ça vous dit.
Céline (en français): Génial ! On va passer une bonne soirée !
Christian Dupape (qui arrive et s’installe à notre table) : Que se passe-t-il ce soir ?
Sarah : Rien qui t’intéresse ! (Son visage se ferme, elle regarde ses mains posées sur la table.)
Kev Luz : Sarah nous invite à sa séance de répétition de combat !
Sarah : Il n’est pas le bienvenu.
Perplexité générale. Ce n'est pas la première fois que Sarah-Shi réagit ainsi. Fanny demande pourquoi. Ma Coatchenim répond qu’il le sait et que ça suffit. Nous comprenons qu’ils se connaissent depuis longtemps et qu’un lourd passif les oppose. Nous n’insistons pas. À brûle-pourpoint, Christian me demande en espagnol (langue que je parle aussi couramment)
-"Est-ce qu’elle crie toujours quand elle arrive au sommet ?
Sarah se tourne vers lui furieuse et lui assène un coup de poing dans le plexus, coup de poing qui lui coupe la respiration. Personne ne s’attendait à ça.
- Quand on crie en baisant, c’est parce que c’est tellement médiocre qu'on veut en finir ! Cretino ! L’homme est satisfait dans son orgueil, il achève son affaire et on peut enfin passer à autre chose ! Cabron ! " Répond-elle en espagnol. Elle sort de la salle à grands pas furieux.
Le grand brun aux yeux bleus finit par s’assoir et reprend son souffle, commence son petit déjeuner comme si de rien n’était. Se-Wi arrive, visage fermé, les yeux rouges. Fatigue ? Christian lui prend la main gentiment pour la faire assoir. Je n’aime pas ça car j’ai confiance en l’opinion de mon coatch. Une fois assise, il lui masse les épaules doucement. Ce qui m’énerve. Je quitte moi aussi la salle, en boitant très fort. Heureusement, Sarah m’attend derrière la porte du réfectoire.
À partir de ce matin-là, les matinées de notre stage étaient toutes semblables: nous travaillions tous au projet du court métrage assigné à chaque équipe. La salle de conférence avait été programmée pour accueillir les répétitions des acteurs, le banc de montage et le studio d’enregistrement étaient occupés par les réalisateurs et les compositeurs. Certains groupes, selon la tâche à accomplir, avaient besoin de calme et investissaient le réfectoire, les chambres, le gymnase quand il était libre, et même la salle verte quand elle ne servait pas au tournage d’"Harmony of Minds". Bref, les matinées étaient studieuses et assez fatigantes puisque nous devions parler anglais en quasi permanence. Sarah était rarement avec nous, ce qui m’obligeait à me déplacer en fauteuil roulant.
Au fil des jours, les midis au réfectoire étaient de plus en plus animés, voire bruyants. Les conversations fusaient d’une table à l’autre, les équipes étaient mélangées à la guise de chacun. Moi, j’ai réussi à garder Sarah à mes côtés à chaque repas, car elle seule savait comment m’aider à m’assoir à terre en pliant ma jambe… C’est même elle qui a trouvé la technique pour ce faire en un seul mouvement. C’était la grâce incarnée…
Quand elle n’était pas sollicitée par Christian-Shi ou Mo-Jun-Shi, Se-Wi mangeait avec nous, souvent morose car elle ne comprenait pas les conversations, toujours en anglais. Mais Sarah continuait son rôle d’interprète, ce qui allégeait la solitude de ma petite sœur. Nos camarades français aussi s’évertuaient à la mêler aux conversations, à la faire sourire. Car il aurait fallu qu’ils soient aveugles pour ne pas remarquer le lien qui nous unissait Sarah et moi, ainsi que l’attachement que Se-Wi me portait.
Les fins de repas débouchaient sur des parties de Go-Stop, de Poker, de Tarot, ou de simples conversations. C’était reposant, ludique, ça créait de sacrés liens entre nous tous.
Et justement, à la fin de ce repas, le deuxième jour, Lara Mandou, nous a donné rendez-vous après la pause… à la piscine.
"Encore ! S’est écriée Sarah avant de refermer précipitamment la bouche sous mon regard réprobateur.
-Pourquoi encore ? a demandé la nageuse professionnelle d’un air angélique.
-Comme ça… Juste comme ça… Pour rien…" A répondu la belle noire en bafouillant. Je regardais mes pieds. Les autres souriaient, complices.
Sarah vivait vraiment au jour le jour. À tel point qu’elle ne consultait jamais le planning affiché en grand dans le réfectoire. Planning qu’elle avait pourtant contribué à élaborer ! Elle disait toujours : "Le temps n’a pas d’importance, seule la vie compte(13). " Sur le chemin de la piscine, je lui ai posé la question :
"Aurais-tu changé ton emploi du temps d’hier soir si tu avais su qu'on nagerait ce matin? "
J’avais peur, tout à coup, de n’avoir été qu’un passe-temps remplaçable, un jouet jetable, un amant "à usage unique(14)". Elle a dû sentir mon inquiétude. Long regard, intense, mais aussi rêveur… Puis :
-"Je n’aurais rien changé, pas même une virgule. J’ai juste peur d’être très distraite par mes souvenirs…" Mon cœur a encore raté un battement. Quelle séductrice !
À la sortie du vestiaire, j’étais cette fois en fauteuil roulant, les sanitaires n’étant pas mixtes. J’ai été autorisé à plonger sans prendre la douche préparatoire. J’ai donc avancé mon fauteuil jusqu’au bord du bassin. Là, Sarah m’a empêché de me lever, a rempli d’eau ses mains en coupe et a mouillé ma nuque, mes épaules, profitant au passage de prodiguer de douces caresses.
"J’aimerais bien être à sa place ! " a déclaré Christian-Shi en français.
Regard assassin de Sarah. Réponse en français,
-Tu as fait tes choix! Séquia (insulte coréenne aux multiples traductions, toutes plus colorées les unes que les autres.) traduction en anglais par Doona-Shi, amusée… Sur ces belles paroles, je me suis levé sur ma jambe valide et à la stupeur de tous, sous l’œil approbateur de Coatchenim-Reine-Noire, plongeon parfait. Pas une éclaboussure. (Merci Sarah pour les cours du soir.)
Ensuite, j’ai tenté de gagner l’autre bord sous l’eau, mais ma jambe inerte me freinait, se laissant porter par les remous. Je n’avançais pas droit. C’était frustrant! Une silhouette noire s’est glissée sous mon corps, a saisi mes bras pour les passer autour de sa taille, et nous a propulsés tous les deux, à la force de ses bras et de ses jambes jusqu’à l’autre bout du bassin. Tout ça bien sûr en apnée. C’était ça Sarah : de l’énergie à l’état pur. Arrivés de l’autre côté, nous avons eu notre moment de gloire… Surtout ma coatch… qui ne voyait rien d’extraordinaire à ce qui venait de se passer. Il faut dire que tous les deux étions redevenus un seul corps, intimement liés. Nous étions encore sous le charme de ce merveilleux moment, un peu déconnectés du réel.
Le thème de l’entraînement était : évoluer sous l’eau devant un réseau de caméras. Nous avions plusieurs enchaînements à répéter autour de quatre caméras sous-marines, quatre autres étant fixées au plafond pour filmer les évolutions en surface. Lara voulait m’exempter de ces exercices à cause de mon handicap, mais ma coatch a déclaré qu’avec son aide, je serais capable d’exécuter les consignes. Et en effet, elle a glissé mes pieds dans une mono-palme avant de faire de même. Pour les séquences de nage en ligne droite, ou en slalom, nous avons décidé d’évoluer l’un sous l’autre, comme au début, alternant nos places au fur et à mesure. C’était amusant et exaltant ! Ça n’avait rien à voir avec nos évolutions de la veille, mais encore une fois, c’était une expérience magique : partage et compréhension mutuelle, contact, étreintes, harmonies. Nos corps, nos mouvements, s’adaptaient si bien l’un à l’autre… Quelques tasses, bien-sûr, quelques peurs aussi : autant Elle que moi n’étions pas à l’aise en apnée, mais c’était peu cher payer pour cette magie extraordinaire.
Lors de la première pause, nous étions tous assis au bord de l’eau.
"On dirait que vous vous êtes entraînés toute la nuit. A déclaré Christian Dupape avec une infime note de défi dans la voix en s’adressant à Sarah. Lara, prise d’un fou rire, a traduit pour les coréens.
-Il y a des gens qui savent partager, faire confiance, coopérer. A répondu Sarah. Mais tu ne sais pas ce que ça veut dire tout ça. Ça t’a toujours dépassé. " (Traduction perplexe de Lara…) Décidément, Sarah connaissaient bien le grand brun aux magnifiques yeux bleus. Sa réponse me troublait : pourquoi donner tant d’importance aux paroles de cet homme ?
-"En tout cas, je pense que c’est à vous qu’on aurait dû donner les rôles d’"Harmony of Minds !" a renchéri malicieusement Céline-Shi. Vous évoluez vraiment en harmonie. On pourrait vous croire télépathes."
Sarah et moi nous sommes regardés, amusés et flattés. Ah ça ! j’aurais adoré ! D’autant qu’on m’avait proposé le rôle principal avant mon accident !
Lee Chang-Jun et Nam Ji-Han ont tenté la Squid Swim, ainsi nommée par Kev Luz, un autre geek, qui disait que nous avions en effet huit membres à nous deux. (Nom adopté à l’unanimité), les autres ont suivi aussi : ça leur paraissait amusant. C’était très drôle de voir les réalisateurs et compositeurs en action, eux qui ne connaissaient du sport que le footing. À la fin de l’essai, peu d’entre nous maîtrisaient la Squid Swim, mais nous riions tous.
Les enchaînements dans la cage d’écureuil étaient plus faciles, je pouvais m’aider de mes bras pour me mouvoir. Pour m’encourager, Sarah avait aussi gardé sa mono-palme, c’est vrai que je me sentais ainsi moins différent des autres. Nos collègues s’amusaient à nous regarder faire, nous n’étions plus les siamois mais les sirènes de l’Ekpè2. Le dernier exercice était le bouche à bouche du secouriste sous l’eau, l’un remplissant ainsi d’oxygène les poumons de l’autre… Belle théorie pour les films. Christian a de nouveau agacé mon coatch en lui déclarant avec un clin d’œil : "j’aimerais m’entraîner avec toi." Sarah n’a pas daigné répondre et m’a entraîné sous l’eau, me projetant une quantité d’air trop importante. Je suis remonté en toussant et crachant douloureusement. La sirène noire s'excusait en me tapant doucement dans le dos. Une fois calmé, c’est moi qui ai entraîné ma coatch dans les "profondeurs" pour un nouvel essai, réussi cette fois. Tout le monde s’y est mis. Léon-Shi a défié Chang Jun-ha à faire l’exercice ensemble, et c’était beau à voir.
Au bout de deux heures, nous étions tous épuisés mais satisfaits et fiers : nous connaissions parfaitement les enchaînements et les maîtrisions tous. Nous étions trois couples à connaître la Squid Swim et à la maîtriser assez bien. Plus tard, quand nous avons visionné les vidéos, nous avons tous eu deux réactions : amusement de notre inexpérience et de nos efforts plus ou moins fructueux, selon les couples, mais surtout une grande fierté d’avoir vaincu nos peurs, plaisir de constater qu’on était capables de réaliser ce genre d’exploits. La scène du bouche à bouche entre Léon et Chang-Jun était très belle ! Chang-Jun confirmait à tous sa réputation de Best-Kisser donnée par les fans de K-Dramas. Ils sont devenus rouges quand nous le leur avons dit. Rires et bonne humeur.
Épilogue :Les Réalisateurs et compositeurs
Lors de l’interview réalisée pour le réality show qui suivrait, les réalisateurs et compositeurs assis les pieds dans l’eau au bord du bassin.ont déclaré avoir compris ce que pouvaient ressentir les acteurs dans ce genre de scènes, à essayer de coller aux exigences d’un metteur en scène quelque fois obtus et ancré dans ses idées . Autant les uns que les autres ont affirmé qu’ils n’écriraient plus ni scénario, ni musique de la même manière qu’avant cette expérience. Pour eux, il y avait dorénavant un avant et un après l’Ekpè2 dans leur carrière.
Quizz:
* = Titre de la série évoquée? Nom de la personne qui le dit?
13= Titre du film ?
14= Titre du film évoqué?