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Scorpions: Wind of change

Images du vieillard écrivant, rêvant. 

Musique 2e mouvement 7e symphonie de Beethoven.

Voix off sur la marche dans le couloir, descente des escaliers.

Visuellement : Lara explique au bord de l’eau le premier  enchaînement, alternance des plans collectifs et des gros plans  sur les évolutions de Sarah et Seung Chul

Pour éviter la voix of : dialogue entre 2 Ekpè2 : "Leur premier entraînement au sabre ensemble, il est handicapé, et on dirait qu’ils ont fait ça toute leur vie. Ils sont télépathes ou quoi ?

Musique : Taxi driver (drama)

Musique : Taxi driver (drama)

Pas de musique. Scène au ralenti

Chapitre 4

 

    Le gymnase, soir du deuxième jour d’Ekpè2. Toute l’équipe est là pour aider Sarah à répéter la scène du combat au bâton.

 

Être sur le banc de touche.

Exclus du jeu.

Condamné à regarder.

Ne pas pouvoir partager.

Être seul parmi les autres.

Être oublié, transparent.

 

    C’est ce que je ressentais dans mon fauteuil en regardant les autres s’amuser avec leur bâton, tentant de suivre les évolutions de la Reine Noire qui répétait pour le lendemain. Et puis jeux de combats, à deux, trois, quatre, maniement du bâton, plaisir ignoré et envié de se mouvoir sur ses deux jambes. Je trouvais le spectacle agréable au début, il est toujours plaisant de voir ses amis s’amuser. Mais l’inertie rend envieux, puis triste, et enfin l’agacement, la colère même s’installent. Pas un seul regard de Sarah. C’est son indifférence surtout qui me blessait.

    Je suis donc sorti discrètement du gymnase, et j’ai commencé à me distraire dans le couloir en entamant une série de figures acrobatiques avec le fauteuil : roues arrières, dérapages, courses de vitesse, virages et autres cabrioles. Ce faisant, je me dirigeais vers la partie internat du centre. J’étais presque au bout du couloir quand j’ai entendu la porte du gymnase s’ouvrir et se refermer rapidement. Quelqu’un courait derrière moi, léger.

   Un appel : "Seung Chul-Shi, où allez-vous ? " C’était Sarah. Blessante jusqu’au bout : elle venait de m’appeler monsieur, et de me vouvoyer. Plus aucune intimité. Je poursuis ma route sans me retourner, mais je ne peux m’empêcher de ralentir. Elle me rejoint, se poste devant moi, les poings sur les hanches m’obligeant à m’arrêter. Je regarde ses yeux étonnés où je peux aussi lire de la peine… ou de la compassion ? A-t-elle remarqué la frustration au coin de mes lèvres ?

"Je voudrais vous faire travailler votre équilibre après ma répétition. Pouvez-vous attendre que je m’entraine un peu pour mémoriser mes mouvements ?

 -VOUS auriez dû me dire de vous attendre alors. (Le français ne donne pas la mesure de mon sarcasme : en coréen, le vouvoiement se trouve en fin du verbe, on y ajoute juste "hyo". Et le fait de marquer un temps entre le verbe et cette particule indiquait clairement à Sarah que j’étais mécontent de revenir au vouvoiement.) J’ai vraiment eu la sensation d’être transparent… pour les autres… et pour vous.

 - Okay. Comme TU as pu le voir, je n’étais pas satisfaite de mon enchaînement. Mes mouvements n’étaient pas fluides. Moi j’attendais que tu me donnes des conseils : tu as pratiqué devant une caméra beaucoup plus que moi. Mais tu n'as rien dit. Je me suis débrouillée comme j'ai pu du coup. "

Mouvement d’exaspération de sa part : elle tourne la tête d’un côté, de l’autre, la penche sur la droite en tapant du pied. Regard fuyant.

"Tellement masculin!"

 

J’enclenche les freins du fauteuil et me lève en m’appuyant sur les accoudoirs. Sarah me regarde faire mais ne s’approche pas comme à son habitude pour m’aider. Je la prends par les épaules et l’amène en boitant lourdement contre le mur, pour garder notre équilibre. Mes yeux plongent dans les siens. J’ai peur de m’y perdre.

- "Excuse-moi vraiment de m’être enfui. Vous voir vous entraîner me frustre vraiment beaucoup. Je voudrais tant bouger moi aussi. Assis seul au bord, je me sentais de trop. "

Pause.

Je replace une mèche près de son oreille.

Je la dévore des yeux.

Cette fois, il y a plutôt des pierres dans mon ventre.

Je relâche un peu la pression de mes mains en prenant une grande inspiration tremblante.

"Je dois avouer que je ne suis pas à l'aise aujourd'hui. Comme si j'avais encore faim.

Et ce soir, te voir évoluer, danser avec ton arme, c'était beau.  J'aurais aimé m'entraîner avec toi... Mais aussi...

J’ai repensé à tes paroles au jeu de la vérité :

Une nuit.

Et j’étais d’accord !

J’étais même heureux de trouver une femme qui pensait comme moi.

Seulement voilà ! Finalement, j’ai encore faim! Une nuit ce n’est pas assez ! Parce que cette nuit, c'était magique. Je n'avais jamais connu ça avant.

-N’importe quoi ! Ce n'est pas ta première fois quand même!.

-Si! La première fois que je m'abandonne entièrement! Nos corps vibraient à l'unisson. Je comprends maintenant le "septième ciel". J'aurais aimé que tu cries comme je l'ai fait, en même temps...

-Tu devrais au contraire être ravi que je n’aie pas crié : ça veut dire que je ne m’ennuyais pas ! dit-elle en regardant ses pieds.

-Je sais, tu l’as dit ce matin. Quand bien même ! Je suis affamé ! J’ai encore envie de toi ! De te dévorer à mon tour ! Et pire : j’ai besoin de toi. "

Pause.

Son regard exprime la crainte, le mien doit lui sembler assez fou.

Petit à petit, mes lèvres se rapprochent des siennes. Doucement d’abord, dans un grand soupir de désir, j’embrasse ses lèvres, son cou, son visage…

Elle me laisse faire. Je me colle plus fort à elle.

 

Je reprends espoir.

Mais une clé de bras et je me retrouve dos au mur, le bras de Sarah sur ma gorge. Je respire avec difficulté.

"Plus aucun homme ne m’acculera contre un mur ! Si tu m’agresses encore une fois, handicapé ou pas, tu finiras à l’hôpital !

On a fait un deal non ? On était sur la même longueur d’onde !

Désir, plaisir, complicité, mais pas d’amour ! D’où le "une nuit et c’est tout !" Si tu tombes amoureux, c’est TON problème ! "

Mais surtout : ne me touche plus !

Et ne m’adresse plus la parole ! C’est clair ? "

 

  Toutes les belles images qui me restaient de nous s'effacent dans mon esprit: notre marche en siamois vers le centre qui s’estompe et disparaît, images des repas, de l’escalade, de la piscine avec les autres, chacune disparait à son tour. C'est passé. Ça ne reviendra pas.

Si j’avais mal avant notre conversation, maintenant, c’est un poignard qui triture mon cœur et mon ventre. Quelle douleur que ce rejet ! Je suis désespéré ! Qu’est-ce qui m’arrive ?

 

   Les lèvres tremblantes et le regard courroucé, elle m’aide à me rassoir, fait demi-tour et dirige ses pas vers le gymnase. Je tourne mon fauteuil pour la voir s’éloigner. Mes yeux sont humides et ma gorge serrée. Qu’est-ce qui me fait mal ? L’humiliation ? Un amour déçu ? Une faim inassouvie ? La dureté de ses propos ? Et tout à coup je réalise : je ne l’aurai plus à mes côtés, elle ne sera plus serrée contre moi. Plus de bousculades, plus de câlins, plus de danse, plus de complicité, plus de Sarah. C’est cet avenir-là qui me terrifie.

Je m’apprête à faire demi-tour quand, contre toute attente, elle fait volte-face, revient vers moi d’une démarche encore coléreuse, se place derrière moi et commence à pousser le fauteuil.

"Un nuit c’est une nuit !

Point !

Mais j’ai promis de t’aider à récupérer ta jambe.

Je tiens toujours mes promesses !"

 

Quelques pas silencieux.

Mon cœur se relâche. Je suis si soulagé.

Elle ne me quittera pas tout de suite.

 

"Tu fais chier* ! Pourquoi faut-il que tu sois encore affamé ? Tu crois être le seul ?"

 

Silence.

 

"Bordel* ! Pourquoi c’est si difficile ?

Pourquoi on a du mal à en rester là ?

Oui c’était magique ! Extraordinaire ! Féérique !

Chacun a eu le plaisir qu’il voulait !

Basta ! Cut ! "

 

* : en français.

Silence.

Arrêt devant la porte du gymnase. Elle reste immobile derrière mon fauteuil, je la sens indécise.

J’ose prendre sa main et j’y pose un baiser… Sur le dos, sur la paume… Je la garde contre ma joue. Après le poignard et le vide, les papillons sont timidement de retour. Puis-je garder espoir ? En tout cas, dans mon cœur, c’est le calme après l’ouragan.

Elle me laisse sa main, puis la passe tendrement dans mes cheveux…

  

Retrait de ses mains.

Ouverture de la porte.

 

"On s’entraîne ! Après, on verra ! "

 

   À notre entrée, nous avons vu les autres s’éparpiller comme une volée de moineaux et feindre une occupation. C’était amusant, digne d’un film comique.

Sarah a fait claquer sa langue contre ses dents plusieurs fois dans un sourire.

  Tout le monde s’est remis à l’entraînement puis à jouer avec tout le matériel du gymnase à notre disposition. Boktos, bâtons, fouets, rubans, balles et ballons, c’était une belle récréation ! Certains ont même profité des échafaudages pour grimper et s’élancer dans le vide, d’abord avec réceptions sur le dos, les fesses, puis bientôt pour les plus hardis exécution de sauts périlleux plus ou moins réussis, avec beaucoup de bonne humeur et de rires. Même Christian-Shi, qui d’habitude restait à l’écart, s’est intégré dans la partie de jeu de ballon.

 

   Pendant ce temps, Sarah m’a aidé à enfiler le harnais pour le travail au câble, a réglé la tension pour me permettre de rester en équilibre au sol, confortablement debout. Elle me lance un sabre dans son fourreau, dégaine le sien. Quelques passes d’échauffement. Elle accélère le rythme, virevolte autour de moi, enchaînant les coups et m’obligeant à tourner sur moi-même pour parer. Je me prends au jeu. Je ne pense plus qu’à parer et attaquer même. Je suis avec la Reine Guerrière, la Shogun, chaque mouvement de l'un répond exactement aux intentions de l’autre. Encore une fois, comme pour la danse, nos deux corps se comprennent et se complètent, c’est magique ! Sarah vole autour de moi, dans un sens, dans l’autre. Cet échange dure bien une demi-heure à ce rythme effréné. Je commence à ralentir, fatigué. Alors ma Reine Noire fait un pas en arrière, rengaine son sabre. Je fais de même.

   Salut.

   Silence.

   Nos yeux sont rivés l’un à l’autre, intensément. Nous sourions, essoufflés.

   Nos mains claquent en un "Check".

 

   Applaudissement.

   Retour à la réalité. Nous regardons autour de nous. Depuis quand l’équipe a-t-elle cessé de jouer pour venir s’installer autour de nous, les uns assis en tailleur, les autres debout… Les réalisateurs et quelques autres ont leur portable en main. Ils nous ont filmés !

Après une courte pause, nous nous installons tous en cercle autour de Sarah qui exécute une dernière fois son enchaînement pour le lendemain. Elle est parfaite ! Et je ne suis pas le seul à l’avoir pensé ! Léon-Shi recommence à filmer.

   Fin de l’entraînement.

   Retour au salon d’accueil, tous ensemble.

   Une dernière bière…

   Léon tient à nous montrer ce qu’il a filmé de notre entraînement. Il fait les branchements nécessaires et nous regardons sur le grand écran du salon.

   "Regarde, Seung Chul, tu vas être surpris ! "

En effet, je l’ai été : à la fin de l’exercice, je prenais appui sur ma jambe droite pour pivoter. Ce qui veut dire que mon pied droit pouvait pivoter ! Léon avait même zoomé dessus. On voyait clairement mon talon se soulever pour pivoter. Un centimètre, un millimètre, c’est peu, mais c’est ! Mon pied vit ! Je regarde les autres, larmes impossibles à contenir. Les médecins avaient pourtant été catégoriques : ma jambe avait été écrasée par la moto, les nerfs  aplatis, je ne pourrais plus jamais l’utiliser.

Sourire de tous.

Je regarde ma coatch, assise à côté de moi.

"Je te l’avais dit. " déclare-t-elle avec un sourire entendu.

Je l’embrasse fougueusement.

"Eh ! No tachi ! "

Rires et complicité.

Je m’écarte d’elle, heureux. Moment serein, moment de partage.

Comment décrire ce passage de la résignation, du deuil, à l’espoir, et même la certitude que la vie reprend ses droits.

"Je marcherai à nouveau !"

 

Je me tourne de nouveau vers Sarah, je prends sa tête entre mes mains et récidive. Quand je recule, souriant, elle saisit ma nuque de ses deux mains. Cette fois c’est elle qui m’offre le baiser. Rapide, sonore, joyeux.

 

Comme elle l'avait promis, Sarah a offert sa tournée de soju pour fêter son contrat. Et moi, j’ai offert la suivante pour la renaissance de ma jambe. Nous avons fait la fête jusque tard dans la nuit. Enfin, chacun-chacune a regagné sa chambre. Extinction des feux, discussion avec Chang-Jun, allongés dans nos lits…

Noir…

   Réveil au petit matin, il fait encore très sombre dehors. J’ai l’impression d’avoir dormi seulement dix minutes.

Un souffle sur ma joue, une caresse aérienne sur le front.

J’ouvre les yeux. Surprise ! Sursaut !

   Un doigt se pose sur ma bouche. Ses yeux m’enjoignent de me taire. Mon fauteuil m’attend contre le lit. Elle tire les couvertures, m’aide à m’installer, pose doucement un sac sur mes genoux puis me pousse silencieusement vers la porte. Une fois dans le couloir, elle fixe ma jambière, m’aide à me lever et se colle à moi. Je ne porte que mon Boxer. Je me sens nu. Je sens qu'elle profite éhontément de cette situation. Elle m'offre un baiser dans le cou et nous démarrons. Nous poussons le fauteuil jusqu’au salon.

Elle sort une couette du sac, l’étale sur le plancher et m’oblige à m’allonger dessus. Elle porte un kimono noir.

Elle s’agenouille près de moi et prend mon poignet. Je reconnais ces gestes. C’est une auscultation shiatzu du pouls. Après un long moment, la danse de ses mains et de ses doigts sur mon corps commence. Cette fois, pas de sensualité. Pas de douceur. C’est un soin. Elle murmure des sons qui entrent en résonnance avec mes sens, avec mon corps. La pression de ses doigts sur certains points soulagent, d’autres sont douloureux. Elle m’explique au fur et à mesure ce qu’elle fait et pourquoi. À plusieurs reprises, je tente de saisir ses mains pour les porter à mes lèvres mais à chaque fois elle esquive avec une tape.

"C’est pas l’heure mon p’tit cœur(16)."

   Après la digi-poncture viennent les étirements. Soulagement. Parfois résistance. Mais à chaque fois plaisir du corps qui se détend, se rééquilibre.

Quand elle a fini, elle s’allonge près de moi.

"Alors, tu te sens toujours transparent ? "

Un très long regard. Je suis sensé faire quoi? Dire quoi? Si je dis que je suis heureux, elle va repartir? Alors, je ne dis rien. Je la contemple en souriant béatement. Je suis tellement détendu que le sommeil revient.

  C’est Chang-Jun et Ji-Han qui nous réveillent, nous secouant du bout du pied. J’ouvre les yeux, un peu dépaysé. Ils sont là, debout, se tenant l’un contre l’autre, enlacés, avec des sourires amusés. Sarah s’éveille à son tour.

"Tout le monde arrive…"

Elle reprend sa position à genoux d’un bond et se remet à me masser la jambe vigoureusement. Je l'arrête pour m'enrouler dans la couette et me remettre dans le fauteuil. Elle me pousse en courant loin des bruits qui se rapprochent. On l’a échappé belle ! Personne ne doit savoir, à part l’équipe qui a compris, et surtout pas mon manageur.

 

J’ai pu déjeuner avec ma beauté noire, mais le reste de la matinée s’est passé sans elle. Matinée de travail sur le court métrage, avec un cours sur le théâtre traditionnel coréen.

 

   Elle n’était pas au réfectoire. Elle m’a manqué. Elle nous a rejoints pendant la partie de poker. Malicieuse, elle s’est postée derrière moi et a aidé mon adversaire à gagner. Excité par son jeu, je me suis levé et comme elle était encore assise je lui ai administré une série de chatouilles qui l’ont fait fuir. Pas trop loin cependant : le jeu n’aurait pas été drôle puisque mes mouvements étaient limités. Double "Check" pour cette partie de fou rire. L’heure de la séance de l’après-midi est arrivée. Le temps de ranger les affaires, de fixer nos jambières, et nous sommes tous partis.

 

    Toute l’équipe était partie ensemble, mais Sarah et moi n’avons pas pu suivre le rythme des autres. Nous sommes arrivés essoufflés sur le circuit. Il faut dire que nos nuits étaient assez courtes, en ce moment… Et la marche en siamois fatigante.

"Vous êtes sûrs que vous dormez la nuit ? Vous avez l’air épuisés." Remarque Christian, moqueur, en français et assez fort pour que tout le monde entende. Les français s’esclaffent, Céline Vigne traduit, les coréens sourient. Ils savent que dans le métier, ils doivent rester discrets. Je retiens ma siamoise fermement par la taille pour l’empêcher d’agresser le trouble-fête.

   

   Divine et Laïla commençaient une démonstration de cascades à moto. Un tour rapide côte à côte, vraiment très près l’une de l’autre, maîtrise coordonnée de la vitesse, toucher de genoux dans les virage, motos presque couchées. Ensuite, sur la grande ligne droite devant nous, les deux motardes ont entamé un face à face en pleine accélération, roues arrières sur toute la longueur, puis au dernier moment avant le croisement : freinage d’urgence, roue avant, roue dans la roue et rotation en face à face. Du grand art ! Enfin, côte à côte, accélération  et franchissement d’obstacles : l’une glissant sous un camion, l’autre sautant par-dessus une voiture, réception parfaite des deux et final juste devant nous dans un duo de dérapage contrôlés enthousiasmant.

Applaudissements.

Les deux virtuoses ont ôté leur casque et nous ont présenté une troisième coatch: Sarah Zito, la pro internationale du stunt moto, qui nous a fait une démonstration extraordinaire.

Applaudissements et salut.

   Petite pause, pendant laquelle Sarah et moi, envieux à l’extrême, avons admiré la belle Suzuki vert métallisé garée près de la petite table de camping et des sièges pliants. Nous tournions autour en silence au début. C'est Sarah qui a entamé la conversation.

"Dans Bad and Wild, c'est toi qui faisais les cascades moto?

-Juste les scènes de vitesse et de slalom entre les voitures. Et toi? qu'est-ce qui t'a amenée à la moto?

- Mon père. Il a la moto dans le sang. Il a commencé tout jeune à faire du moto-cross. Il m'a enseigné dès que nous sommes rentrés en France. J'avais treize ans.

- Ce n'est pas un peu jeune? Ta mère n'avait pas peur ?

- C'est aussi une motarde. Il nous a appris en même temps. Et puis, mes parents ont vite compris qu'il me fallait  du sport à outrance. S'ils ne m'avaient pas offert toutes ces disciplines sportives, j'aurais mal fini.

-J'aurais aimé apprendre au moins à faire une roue arrière... Mais maintenant...

-Veux-tu que je t'apprenne?"

J'ai vivement tourné la tête vers elle pour vérifier si elle ne plaisantait pas. Elle avait beau être belle et désirable, là j'ai eu envie de la giffler. Mais elle était on ne peut plus sérieuse.

"Tu te moques de moi ou tu as oublié ma jambe?

-Ni l'un ni l'autre. Si tu as confiance, je te prends en passager et je t'apprends roue arrière, avant et dérapages pour quand tu auras retrouvé l'usage de ta jambe."

   Les anciennes du Dakar de la belle époque (avant Doubaï) nous ont mis en ligne pour un nouveau tirage au sort. Nous devions (enfin… les autres, pas moi) récupérer un papier de couleur dans un casque posé sur la petite table. Les motardes portaient chacune un brassard de couleur différente : rouge pour Divine-Shi, jaune pour Sarah Zito et bleu pour Laïla-Shi. Un troisième brassard, vert, était posé sur la table. J’étais dépité de ne pouvoir monter sur un de ces engins. C’était fini pour moi… Enfin… Je le croyais.

   Sarah s’est avancée vers Divine et lui a glissé quelques mots à l’oreille.

"Tu crois que c’est possible ? S’il est d’accord, pourquoi pas… Nous avons vu tes vidéos sur internet : avec ton fils et tes parents. Tu peux sûrement faire ça aussi… De toutes manières, comme nous n’avons que deux heures pour faire vibrer nos stagiaires sur nos motos, nous avons préparé quatre groupes. Voilà ta moto (la suzuki vert métal), ton casque (elle montre celui du tirage au sort) et ton brassard. Tu as quelques tours de piste pour te familiariser pendant que les stagiaires s’équipent.

 Seung-Chul-Shi, Sarah-Shi s’est proposée pour vous piloter. Voulez-vous faire les exercices de moto derrière elle, à vos risques et périls vu votre handicap?"

 

  Oh la joie que j’ai éprouvée à ce moment-là ! Refaire de la moto ! Avec la reine noire ! Le paradis ! L’extase !

 

   Et pendant que ma reine s’échauffait, sans combinaison, protégée uniquement par le casque, nous sommes allés nous équiper aux vestiaires : combinaisons, casques, gants, genouillères et bottes. (C’est Léon Bosson qui s’est scratché à ma jambe cette fois. Parcours très amusant vu son léger embonpoint et son peu de pratique sportive.) Les casques étaient équipés d’une oreillette et d’un micro. En rejoignant la piste, nous avons pu admirer la reine-guerrière s’amuser sur son bolide pour son dernier tour d’échauffement. Roue arrière, slalom en roue arrière, retour sur deux roues, accélération, freinage, roue avant, nouvelle accélération et enfin freinage en dérapage pour finir juste devant moi. Je n’ai pas reculé.

Moment d’admiration des collègues : pour la précision de Sarah et pour mon immobilité.

 

Applaudissements. (Il faut savoir qu’en Corée, les applaudissements sont bien plus utilisés qu’en France.)

   Les tours d’initiation ont commencé dans la bonne humeur et l’enthousiasme. Pourtant, à la fin des parcours d’initiation, peu d’Ekpè2 étaient à l’aise. La plupart étaient bien secoués en descendant de moto, leurs genoux tremblaient, leurs lèvres étaient bien pâles, mais leur enthousiasme était le même.

   Quand le tour de Christian-Shi est arrivé, il a montré son ticket vert à Sarah, un sourire vainqueur aux lèvres. Sarah a lentement déchiré le papier en le regardant bien dans les yeux et a démarré en trombe, les gaz d’échappement bien dirigés vers le nez du beau brun. Et elle s’est arrêtée devant Nam Ji-Han. Léon a discrètement échangé son ticket bleu contre le morceau de ticket qui restait dans la main de Christian, et s’est régalé de la séance de cascades derrière Sarah.

   Mon tour est enfin arrivé. Je suis monté sur la moto derrière la guerrière noire, j’ai eu droit à deux tours supplémentaires de vitesse puisque j’étais le dernier à passer... Et que nous partagions cette passion. Enfin, au début de la dernière ligne droite, elle s’est arrêtée, s’est tournée vers moi, m’a demandé si ça allait jusqu’à maintenant, si je lui faisais confiance, et si j’étais capable de rester en équilibre avec nos deux jambes droites scratchées. Comme j’ai dit oui, elle m’a conseillé de me serrer comme si nos deux corps ne faisaient qu’un. J’ai répondu avec un clin d’œil : "Maître dit, élève fait. Paaaas poser question. "

Mais quand même, j’en ai posé une : "pourquoi faire ? "

Elle a répondu en français:

"Pour s’envoyer en l’air ! " et en tournant la tête, elle a désigné le tremplin devant la voiture…

 

   Cette fois, c’est la peur qui a noué mon estomac. Mais avec Elle…  J’ai perdu mon sens commun en acceptant. Sarah a posé un baiser sur mon casque, baissé nos visières, et je me suis accroché à elle comme une pieuvre.

Démarrage en trombe avec en fond sonore Divine et Laïla hurlant d’arrêter immédiatement dans l’oreillette, avec force gros mots. Sarah leur a intimé de manière assez crue de se taire pour pouvoir se concentrer.

"la ferme ! (en français)

   Et on a sauté !

"살아 ! " A-t-elle hurlé. (traduction : vivants, ou je vis, ou on vit, ou tu vis, ou on est vivants…= Sar-ha !).

   Je ne sais pas ce que j’ai hurlé… sans doute un grand "Aaaaaaah ! " Le temps s’est arrêté pendant l’ascension de la moto, mon cœur aussi d’ailleurs.

   Réception parfaite sur la roue arrière, retour au bercail dans un beau dérapage. J’étais encore collé à ma pilote. Je ne pouvais pas encore lâcher. Comment dire… Un peu tétanisé ?

 

   Sarah a enlevé son casque dans un grand cri de joie. Divine et Laïla se sont précipitées sur nous en l’invectivant. Mais elle s’est tournée vers moi, me présentant sa main pour un "check". Ce geste m’a débloqué et j’ai tapé… mollement… dans sa main. L'autre Sarah nous regardait d'un sourire entendu. J’ai réussi à descendre de moto avec l’aide de Kev, j’ai ôté mon casque pendant que Sarah mettait la béquille et descendait de moto. Elle s’est scratchée immédiatement à moi. Heureusement ! Nous n’avons fait qu’un pas avant que ma jambe valide ne se dérobe. Sarah m’a serré encore plus fort pour me redresser, et Kev Luz m’a retenu de l’autre côté. Ils m’ont conduit vers un siège où je me suis assis, péniblement.

Les organisatrices réprimandaient vertement Sarah, qui semblait perdre de son assurance. Elles avaient peur que je puisse porter plainte (moi ou mon agent) pour mise en danger d’autrui et faire une très mauvaise publicité à la SMSC.

  Là, j’ai surpris tout le monde en m’exclamant très fort, malgré mon teint pâle, qu’il n’en était pas question : que je m’étais senti vivant comme jamais. J’ai même tenté de décrire mes impressions lors du saut : la moto, le temps et mon cœur étaient suspendus comme dans un instant d’éternité (où vais-je pêcher ces belles images ?). C’est ce que j’ai ressenti. Et ce que je ressens encore 60 ans plus tard. J’ai même chaleureusement remercié ma pilote devant les motardes pour cette fabuleuse expérience. "Bon… Ok…" a déclaré Laïla rassurée.

 

"Ceci dit, c’était vraiment pas mal pour une première.  A rajouté Sarah Zito. Tu as appris toute seule?

-Non, c'est mon père qui m'a enseigné. J'étais incontrôlable ado, très instable. C'est grâce à lui que j'ai pu me dominer."

 

   Comme il était temps de rentrer se changer, j’ai demandé à rester assis encore un moment seul, pour récupérer. Au moment où Sarah partait à son tour, je l’ai retenue par le bras en lui demandant, en coréen, de m’aider à parfaire ce moment.

Elle n’est pas partie… Savait-elle ce que j’entendais par-là ? En même temps, ça semblait évident, Chang Jun s’est tourné vers moi et a émis plusieurs claquements de langue contre ses dents en secouant la tête, tout sourire. Nam Ji-Han était hilare.

Christian-Shi, lui,  avait un regard… bizarre.

   Quand ils ont été suffisamment loin, je me suis levé, j’ai pris son visage entre mes mains, elle n’a pas protesté. J’ai approché mes lèvres des siennes et glissé dans un souffle :

"살아 ! "

Et j’ai prolongé ce moment de vie. Elle m’a laissé faire… Et comme elle aimait les choses équitables, elle l’a aussi prolongé.

Épilogue : Ce que je ne savais pas.

 

   La veille, Nam Ji-Han a été réveillée dans la nuit par des bruits de gorge répétés, comme si quelqu’un s’étouffait. Elle a éclairé la chambre et trouvé Sarah, assise sur son lit, serrant un gros tricot blanc contre elle. Ji-Han s’est assise près d’elle sur le lit, a gardé le silence en lui caressant doucement l’épaule. Après un long moment où Sarah s’efforce de se maîtriser, la reine noire rompt le silence.

"Quand je me suis fracturé la cheville en parapente, je ne pouvais plus faire grand-chose. Alors, j’ai commencé à tricoter ce gros pull en laine pour Sacha. Nous avions prévu de faire une excursion dans la neige quand il reviendrait d’opex, et quand je serais guérie. "

Nouveau sanglot.

Nam Ji-Han la prend dans ses bras, lui caresse les cheveux, tapote son dos. Sarah en pleurs saisit sa jambière, celle qui sert à ma rééducation.

"Je suis tellement désolée ! Tellement désolée !

Je m’étais promis de rester fidèle à mon Tsar. Je pensais qu’aucun autre homme ne pourrait lui succéder…

C’est pour ça que je ne couchais plus qu’une nuit avec mes conquêtes.

Sanglot muet.

Je ne savais pas…

Je ne voulais pas…

Je me suis piégée, je crois. "

 

Long silence, on n’entend que ses pleurs qui la secouent.

 

"Sacha t’aimait. Il ne voudrait pas que tu vives coupée du bonheur parce qu’il n’est plus là. Tu le sais bien. Ne culpabilise pas.

Il n’est plus là. Mais tant que tu seras en vie, votre amour vivra aussi. Ton cœur est grand. Il y a de la place pour Seung-Chul si tu veux. 

-La vie de Seung-Chul est en Corée, la mienne est en France. Cut !

-Si votre destin est de vous aimer, vous pouvez très bien vivre en Corée et en France alternativement.

-Sa carrière serait brisée. Je ne veux pas être la briseuse de rêve. "

Pleurs et réconfort.

 

60mn

 

Fondu au noir.

Quizz:

16= citation de quelle série ?........................................................

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