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Chapitre 7

 

Replay :

    Cette étrange visite à Kaïa nous a pris plus de temps que prévu, il est plus de midi quand le bateau accoste sur le quai. Ma sœur Min-Ho nous attend depuis un moment. Elle est seule. C’est curieux. Malgré mon trouble, je plaisante :

"Tu as abandonné Sarah en cours de route ?

-Elle m’a demandé de dire au revoir aux parents, et qu’elle ne reviendrait pas, avec toutes ses excuses.

-Qu’est-ce que tu racontes ? Ce n’est pas son style !

-Je ne fais que transmettre le message. Elle a ajouté qu’elle devait rentrer chez elle, qu’elle ne supportait plus la fourberie du siamois. Tu sais ce qu’elle voulait dire ? "

   Mon visage est devenu livide. Mon père n’a rien dit. Il devinait mon trouble. Il m’a aidé à sortir du fauteuil et à m’installer au volant de la voiture automatique. Il a plié et rangé le fauteuil dans le coffre.

"S’il le faut, je dirai au revoir à ta mère pour toi. Ne t’occupe pas de nous. On va rentrer à pied. Rattrape-la !

-Tu fais bien des histoires." S’étonne Min-Ho.

    Je n’ai pas entendu la réponse de mon père car j’étais déjà parti. Ce départ précipité n’était pas logique. Que s’était-il passé ?

J’ai trouvé Sarah au bout de deux kilomètres, marchant au bord de la route d’un pas trop rapide pour ses blessures. Je me suis garé un peu plus loin et j’ai ouvert la portière pour l’appeler. Elle n’a pas répondu et a contourné la voiture, poursuivant son chemin, comme si je n’existais pas. C’était incompréhensible. Le temps m’a paru long avant que je ne puisse réagir. Reprenant le volant, j’ai avancé la voiture et me suis à nouveau garé plus loin. Cette fois, je suis sorti de voiture. Je me suis avancé en boitant et en me déhanchant, essayant de ne pas perdre mon équilibre. Arrivée à ma hauteur, Sarah a voulu m’éviter pour continuer sa marche. Je l’ai saisie par les épaules, l’obligeant à me regarder dans les yeux.

" Mais qu’est-ce qui se passe enfin ? Qu’est-ce qui est arrivé ? "

Son regard lançait des éclairs, ses lèvres pincées, grises, tremblaient beaucoup. L’instant d’après, ses yeux exprimaient une intense douleur, un désespoir sans bornes. Et l’orage réapparaissait. Son attitude m’effrayait tant, je sentais tellement la catastrophe imminente que j’ai perdu l’équilibre. Un court malaise. Avec sa poigne naturelle, Sarah m’a retenu et ramené sur mon siège. Des larmes se sont mises à couler sur mes joues.

"Explique-moi, s’il te plait ! Le monde est en train de s’effondrer sous mes pieds, là ! "

Elle a pris appui sur une jambe, posant un poing sur la hanche, passé l’autre main dans ses cheveux, regardé le ciel un long moment, puis son regard a balayé la plage qui longeait la route.

"Ce qui se passe ? Demande à ta fiancée !

-Ma fiancée ?!

-Comment as-tu pu me faire ça ? NOUS faire ça ? Tu flirtes devant ta fiancée, tu la trompes sans même t’en cacher. Et tu n’as pas daigné rompre avec elle avant de coucher avec moi ? Je te croyais célibataire moi !

-Mais je suis célibataire !

Son regard exprime la surprise.

Puis la haine.

Et enfin le mépris.

-En fait tu ne vaux pas mieux que Christian. Tu es le même porc !

Main dans les cheveux, elle regarde de l’autre côté, au loin.

-Tu m’as embrassée, séduite, devant elle… J’ai…

-Mais devant qui enfin ? Ai-je crié en me levant. Je ne suis pas fiancé ! Je ne l’ai jamais été ! Je ne t’ai jamais menti ! Et je n’ai jamais trompé personne ! Je ne mérite pas d’être comparé à ce sale type !

Je me relève, la prends par les épaules, je cherche son regard. Je le capte enfin. Elle veut lire dans mes yeux.

-Ah bon ? Il faudrait que tu le lui dises alors. À ta famille aussi. Et à tes fans tant qu’on y est ! Et à ton manager ! D’après lui, je ne suis pas la première qu’il rencontre pour faire le ménage et protéger ta carrière.

-Mais de qui parles-tu à la fin ? Qui est censé être ma fiancée ? Et puis quand as-tu vu Min-Ji ?

-Ce matin. Ta sœur me l’a présenté. Il pensait que tu avais pris  ta carrière au sérieux puisque tu n’avais plus d’aventures, et que tu étais fiancé. Elle était là elle aussi, à pleurer toutes les larmes de son corps. Quand je pense à ce qu’elle a vécu ces derniers jours ! En tout cas, j’ai compris une chose ou deux ! Ton corps leur appartient, ton âme leur appartient. Tu les as vendus pour réaliser ton rêve de gloire et d’argent. Tu t’es même trouvé une jolie poupée pour faire ta fiancée et booster ta carrière.

C’était ton choix.

Tu aurais dû l’assumer au lieu de me faire croire à NOUS."

Je suis perdu. J’ai du mal à respirer. Mes poumons et ma gorge brûlent. Mon esprit est vide. Je n’arrive même plus à réfléchir. Je ne comprends pas ce qu’elle me dit. Je la tiens toujours par les épaules, immobile. Je regarde son beau visage. Elle baisse la tête. Elle reprend :

"Et même s’il est vrai que tu m’aimes sincèrement, contre toute logique, et que tu n’es pas fiancé, je n’ai pas envie de me battre pour être acceptée par ta famille, par ta maison de production, par tes fans. C’est perdu d’avance. Je ne veux plus vivre ça. Plus jamais !

Il y a longtemps, la mère de Christian m’a jeté une carafe d’eau en pleine tête parce que j’osais lui prendre son fils. Elle n’était même pas coréenne. Je croyais ne plus avoir à revivre ça. Et voilà que ta sœur, ton manager et ta fiancée me piègent en cachette au fond d’un café. Pour me menacer finalement ! C’est trop ! Je ne mérite pas ça. "

Des larmes coulent le long de ses joues, elle renifle.

"Koenchana : on a eu plus que la nuit promise du début. On aurait dû s’en tenir à notre règle. Je m’excuserai peut-être un jour auprès de ta fiancée. Mais là. C’est trop.

Je pars.

Salut. "

Elle a contourné la voiture et a continué sa route, sans un regard en arrière. J’ai dû rester une heure, assis là, à regarder la mer, l’esprit vide. Je ne pensais plus à rien, comme anesthésié. Mon monde s’était effondré et je ne comprenais pas pourquoi.

Enfin, je me suis installé lentement au volant, j’ai fermé la portière et démarré. Direction le centre pour tenter de rejoindre Sarah.

 

Fondu au noir.

 

Image de Sarah Zito qui arrête ses stunts sur le parking et regarde Seung-Chul descendre de voiture. Elle descend de moto, l’aide à récupérer le fauteuil dans le coffre. Elle lui annonce que Sarah est déjà partie. Il s’écroule dans le fauteuil, tête baissée, prostré. Sarah Z. voyant sa détresse s’accroupit devant lui et lui demande ce qui s’est passé. Seung-Chul raconte :

 

    "Après ma dispute avec Sarah, sur le retour au centre, une pensée a surgi dans la bouillie de mon cerveau : Sarah a vu Min-Ji et ma sœur ce matin.

J’ai fait demi-tour et suis rentré chez mes parents.

Une étrange ambiance règnait dans le salon à mon entrée. Min-Ho et mes parents étaient assis devant la petite table. Elle baissait la tête. Face à elle, ils regardaient pensivement droit devant eux. J’ai demandé des explications.

"Min-Ho, qu’est-ce que vous avez dit à Sarah pour qu’elle parte ? C’est quoi cette histoire de fiancée ?

-Comment ça c’est quoi ? Tu es bien venu ici avec Se-Wi il y a trois mois ! Vous êtes même restés une semaine. Se-Wi appelait même nos parents "père" et "mère". Moi, elle m’appelait sa gentille belle-sœur... Tu ne t’en souviens pas ? Si vous n’étiez pas fiancés, alors, pourquoi tu la laissais faire ?

-C’est ma petite sœur de cœur, c’est normal qu’elle appelle les parents comme ça. Et puis elle sortait d’une rupture douloureuse. On avait une semaine de congé pour mémoriser les scènes à notre rythme, et comme je voulais vous voir je l’ai amenée ici pour les répétitions. Mais je ne vous l’ai jamais présentée comme ma copine, encore moins ma fiancée ! Je ne lui ai pas prêté ma chambre comme à Sarah ! Elle dormait dans ta chambre, comme une sœur.

J’avais le cœur déchiré. Je ne retenais ni ma colère ni mes larmes devant la famille.

-Je suis vraiment désolée. Comment aurais-je pu savoir que c’était faux ? Même les réseaux sociaux parlaient de vous ! Et ton agence n’a rien démenti. Min-Ji-Shi était au courant et il n’a rien fait. "

 

Retour au présent. Seung-Chul demande à Sarah Z. d’un air hagard :

"C’est si douloureux ! Comment on fait pour oublier ? Ma reine noire a raison : ça devait juste être une nuit. Ni l’un ni l’autre ne voulait de sentiments. Mais ça m’est tombé dessus sans crier gare ! Et je ne veux pas que ça finisse ! Je rencontre enfin la femme que je veux aimer et elle me quitte avant qu’on n’ait rien commencé. J’ai mal là ! Comment on oublie, Sarah ? Comment ?

-On n’oublie pas. On ne peut pas. On occupe juste l’esprit le temps que le cœur cicatrise. C’est tout. Viens, j’ai le remède. Je viens de recevoir la moto adaptée à mon amie Fred Perse, paraplégique, qui va faire un stage chez nous. Tu vas l’essayer. "

 

Fondu au noir

 

2 mois plus tard.

La France, Annecy.

Dents de Lanfont (pointe centrale)

 

Images d’un drone :

Vue se rapprochant de la falaise, panoramique autour de la grimpeuse aux ¾ de la montée. Noire, short et brassière orange fluo. On remarque les muscles puissants de son dos, ainsi que les cicatrices claires des coups de fouets. Assurée par le haut. Elle a une oreillette-micro.

Le drone vole en cercles autour d’elle, puis au-dessus, vue du haut de la falaise : Un jeune homme, grand, délié, peau plus claire que Sarah, yeux curieusement vert kaki: Mika, 18 ans. Cheveux noirs, longs, il est torse-nu, sa combinaison beige de parapente roulée à la taille, tient la télécommande du drone. Une femme, blonde: Maguy-Shi. Combinaison noire repliée à la taille et brassière noire, elle regarde par-dessus son épaule.

Retour de l’image sur Sarah. Son pied droit dérape, entrainant la main droite à perdre sa prise, elle se trouve accrochée par la main gauche, reprend ses appuis pieds, et se laisse porter dans le baudrier, soulageant son bras droit.

-Patiiiin, maman, fais gaffe quoi ! T’es en convalescence !

-Ouaip. Je repose un peu le bras et je reprends.

-Mika, peux-tu dire à ta mère de prendre son temps et de mieux se concentrer ? Sinon, on risque de ne pas pouvoir faire de parapente.

-T’inquiètes, Sœurette ! J’arrive dans dix minutes, sans stress. Sortez le casse-croûte !

Le drone est au-dessus de Maguy et filme maintenant le haut de la falaise. Sarah arrive en haut, se redresse, fait un pas, se déséquipe, et lève enfin les yeux vers le groupe. Mika fait tourner le drone au-dessus d’elle, Maguy s’avance pour l’aider, Sarah sourit en la voyant arriver.

Zoom sur son visage... qui perd son sourire en portant son regard derrière sa sœur.

 

Séoul. Caméra sur drone : image de la tour Namsan (le drone tourne autour). "Voyage" de la caméra qui avance dans les rues de Séoul, jusqu’à un immeuble de haut standing. Entre dans l’appartement de Seung-Chul, par la baie vitrée de la terrasse. "Visite" du salon-cuisine, puis entrée dans la chambre. Dans son lit, nu sous les draps froissés, Seung-Chul gémit et marmonne dans son mauvais sommeil. Ne t’en va pas ! Répète-t-il en coréen. Des larmes coulent le long de ses joues.

Flash-back sur l’avant dernière soirée au SMSC.

Réfectoire. Seung-Chul est avec Céline, Léon, Ji-Sang, Kev, Chang-Jun et Ji-Han. L’ambiance est morose. Chacun essaie de le sortir de sa léthargie. Tout à coup, Kev pose bruyamment ses baguettes sur la table, faisant sursauter tout le monde.

"Ok ! Elle est partie ! Et ok ! Depuis, même nous, on ressent un vide dans cet espace. Mais bon sang ! On va la revoir ! Peut-être pas tout de suite, mais au moins dans trois mois, quand on fera la promo du reportage sur le stage. C’est prévu. Alors, ok, on est triste, mais on prépare les retrouvailles !

Céline ajoute : Cette nuit, j’ai potassé le contrat que tu m’as donné sur mon ordinateur. Reprends-le (elle lui tend une clé USB). J’y ai fait des annotations en rouge dont tu peux te servir. Il s’avère que tu peux soit porter plainte contre ta maison de production, soit trouver un arrangement avec eux. Parce qu’ils sont allés trop loin dans leur ingérence dans ta vie privée et tu peux les poursuivre pour ça.

-En revanche, remarque Ji-Sang, je ne comprends pas comment tu as pu laisser les choses aller si loin sur les réseaux sociaux.

-Maintenant je sais ! C’était dangereux. Je n’y allais jamais, sur les réseaux ! Je passais mon temps à travailler : entraînements, shootings, pubs, tournages... Alors, le reste du temps, je le passais à m’amuser avec les copains. Je faisais confiance à Min-Ji ! Il devait s’occuper de moi. Comment aurais-je pu savoir que Se-Wi s’était monté un film ridicule et le partageait avec ses fans ? Et que Min-Ji l’encourageait...

Ji-Han, qui fait défiler les commentaires sur son mobile: Je dois dire qu’elle a de l’imagination. Même en ne connaissant pas votre histoire, ce qu’elle raconte est ... délirant.

-Alors, maintenant, je fais comment pour démentir sans bousiller ma carrière ? Je fais comment pour retrouver ma Sarah ?

 

Seung-Chul s’agite dans son sommeil.

 

Retour en France, Annecy, en haut de la falaise.

Il y a un autre homme en retrait, blanc, peu bronzé, il porte toujours son baudrier qui lui a servi à assurer Sarah. (trois spits au sol dans le rocher, dont l’un à 3m du bord. La corde d’assurance forme un z. L’assureur est au bout du z.) Torse-nu aussi, combinaison roulée à la taille, il est de dos et enroule la corde d’escalade dans un grand sac à dos.

Avant que Maguy puisse l’enlacer, Sarah retrouve un demi-sourire et remarque fort, en coréen :

-Je pensais ne jamais revoir ce dos si alléchant.

Nous n’étions pas censés nous revoir dans cette vie.

Mais pourquoi est-ce que je suis à peine étonnée ?

   Grands câlins de retrouvailles des deux sœurs, Sarah a toujours Seung-Chul en visuel. Il se tourne. Son visage reflète l’anxiété. Sarah se dégage gentiment de l’étreinte de Maguy et avance d’un pas.

Elle (toujours en coréen) :

En t’exposant ainsi, ce n’est pas un coup de soleil que tu vas prendre. C’est un coup de dents. J’ai très peu de volonté, tu sais.

-Pourtant Mika est torse-nu aussi et tu n’es pas tentée.

-C’est mon fils tout de même.

-Oh ! J’aurais dû m’en douter.

-Ceci dit, je vais compter jusqu’à trois. Et si tu n’as pas remis ton t-shirt à la fin du décompte, tu risques de passer une nuit blanche, une de plus. Ça va retarder ton... notre deuil.

...

Hana ! Tul ! Sed !

Pendant que Sarah égraine les secondes, Seung-Chul saisit son polo blanc, le met en boule et le garde entre ses mains. Les trois secondes sont passées. Silence des deux qui ne se lâchent pas des yeux. Regard intense, plein de souvenirs. Puis Seung-Chul s’avance, lentement, sans béquilles, en boitant légèrement. Il s’approche très près et tend son t-shirt à Sarah... qui l’aide à l’enfiler, lentement, ils se fixent toujours, éperdument cette fois. Ils finissent par s’enlacer, faisant durer la douceur des retrouvailles... assez longtemps pour que Mika intervienne.

-Oh les amoureux ! Il faut remballer le matériel et le ranger sur les quads ! Vous continuerez ce soir !

Organisation des tâches : rangement des cordes, pique-nique, installation des ailes. Chacun a sa caméra sur son casque. Décollage des deux ailes ensemble. Prise immédiate de thermiques, long vol au-dessus des falaises et des montagnes. Puis tangages et roulis prononcés en allant vers le lac. Sarah déclare:

"Si tu ne vomis pas avant la bière, tu auras le droit de passer autant de nuits que tu veux avec moi !

-Et autant de jours que je veux! Je ne t’aime pas que pour les nuits !

Sarah et Mika font des 360 engagés au-dessus du lac, les deux ailes en opposition, elles se touchent presque.

 

    Les deux pilotes se posent sur la cible du terrain d’atterrissage.

Vues d’un drone tournant au-dessus, images en stroboscope : check des deux équipes, pliage des ailes, terrasse d’un café, moment convivial autour d’une bière, rencontre avec d’autres parapentistes (Alain D, Michel G) Récupération des quads (en voiture puis à pied. Seung-Chul, accompagné de Sarah, marchant avec sa béquille, ferme la marche.) Les autres récupèrent les quads et les ramènent à la voiture. Sarah et Seung-Chul rentrent en quad cette fois, les autres en voiture.

Discussion sur le trajet.

Sarah tourne la tête vers son passager.

-Cette fois, c’est moi qui vais te présenter à mes parents !

-Ils participent aussi à la course ?

-Tu es au courant pour la compétition ?

-Oui, je serai même le suiveur de Mika... Ton fils ! Incroyable ! Il a bien caché son jeu quand on a préparé la semaine avec Maguy. Elle aussi aurait pu me le dire ! Il est plus vieux que je ne pensais !

-Il a 17 ans. Je l’ai porté, puis rencontré à mes 19 ans. En ce qui concerne mes parents, ils seront les suiveurs de mon mentor de parapente, Michel. On espère le convaincre de tous se retrouver le soir pour bivouaquer...Ils veulent pouvoir vous faire voler en bi-place, Maguy et toi.

-Ils sont parapentistes aussi ?

-Ils m’aident même à tenir mon école de parapente.

 

Fondu au noir.

 

    Soirée dans la salle de réception d’une auberge pour la course marche et vol du lendemain. Sarah et Mika y participent. Seung-Chul et Maguy seront les suiveurs. Les parents de Sarah sont aussi de la partie. Ce soir, c’est buffet froid. Les trois concurrents et leurs suiveurs sont accoudés au comptoir et font un dernier point, détendus, sur le départ du lendemain.

Mika : "J’ai récupéré vos traceurs et les T-Shirts de tout le monde. Maman voilà ton traceur, Michel, j’ai aussi le tien. Il se tourne vers le groupe des anciens : ça ira les vieux ?

Agathe (mère de Sarah) : Eh ! Qui tu traites de vieux, ptit c... ?

Antoine (père de Sarah) : Ah! Toujours le juron aux lèvres, ma douce, hein!

Michel : En tout cas, c’est ma dernière course ! À soixante-quinze ans, je commence à avoir du mal à être dans le trio de tête.

Sarah : Tu veux dire le quintette de tête oui !"

(Rires des plus jeunes.)

Alain D. arrive à leur hauteur avec son suiveur Olivier, dit "Zitoun ".

"En attendant, dit-il, on marche peut-être moins vite que d’autres, mais on vole plus haut et plus loin !

Seung-Chul a du mal à suivre la conversation. Sarah traduit en coréen.

Maguy lance en anglais : C’est si important que ça de gagner ? Je veux dire : C’est la première course de Mika et Sarah. C’est beau quand même de participer ensemble, mère et fils. C’est la première course de parapente à laquelle Seung-Chul et moi participons, et c’est la dernière pour Michel. Vous n’avez pas envie de faire cette course en équipe ? Pour le plaisir ?

Sarah : C’est vrai ça ! En tous cas, c’est comme ça que Mika et moi allons voler. Le soir, Seung-Chul et ma petite sœur nous auront préparé le bivouac et nous n’aurons plus qu’à profiter de la soirée et nous reposer. Si ça tente quelqu’un... Mika a amené sa guitare et moi mon harmonica. Elle se penche vers Maguy avec un clin d’œil de connivence et murmure un merci dongsaeng.

Agathe : Moi ça me tenterait bien ! On peut fournir les apéros et les desserts.

Alain D. (qui pourtant est assez solitaire) : Je reconnais bien les deux suiveurs de Michel. Qu’est-ce que tu en penses, Zitoun ? Si Michel fait équipe, alors ça me plairait. C'est une nouvelle expérience.

Michel : Si les suiveurs se débrouillent pour nous chercher et nous ramener à notre point de chute alors... ok. Mais je vous préviens : il est hors de question que je perde !

Mika : Ooooh ! On va te mettre minable mon vieux !

Michel : prétentieux !

    Tout le monde trinque. Bonne humeur et petite musique d’ambiance. Jusqu’à "Think " d’Aretha Franklin. Là, Agathe va mettre la sono plus fort, elle connait bien son homme qui se met à danser seul sur la musique, dans son monde. Mika invite Sarah pour un rock, Agathe ne peut résister et invite Seung-Chul pour un semblant de twist, et Alain invite Maguy dans des passes de rock très lentes. Michel et Zitoun regardent en sirotant leur bière. La soirée bascule en bal... Ou presque. Agathe se sépare de Seung-Chul pour aller mettre un morceau d’Otis Reding. Dans un grand cri enthousiasmé, Sarah saisit son compagnon et ils entament une des chorégraphies du film, avec quelques faux pas dus au handicap de Seung-Chul. Mika danse avec sa tante. Zitoun, à son tour, se met derrière la console de mixage, choisit une musique et va inviter Sarah. C’est un slow. (Gary Moore : Got the blues for you)

    On voit que Seung-Chul trépigne et veut reprendre Sarah, mais Mika le retient.

Mika : Attends un peu s’il te plait, je t’assure, ça vaut mieux.

Travelling autour du couple de danseurs Sarah-Zitoun.

   Lentement, les bras de Zitoun pressent de plus en plus Sarah contre lui, elle se cambre pour garder une distance correcte sans être impolie. Les lèvres du parapentiste cherchent en vain celles de Sarah qui esquive poliment.

Zitoun : J’espérais t’avoir encore avec moi cette nuit... Il semble que j’ai déjà un remplaçant. Tu es vraiment une femme à hommes dis-donc.

Sarah : Alors, d’abord, qu’est-ce que ça pourrait faire si c’était le cas ? Quand un homme fait ça, on n’en fait pas toute une histoire ! Ensuite, on s’était mis d’accord pour une nuit ! Et enfin, lui, c’est mon amoureux.

Zitoun : Et il est au courant pour la nuit dernière ? Eh ben dis donc !

Sarah entraine son partenaire vers le comptoir, lui offre un verre.

Elle (en anglais, près de Seung-Chul): C’est une longue histoire... Enfin... Pas si longue que ça ! On s’est rencontrés il y a deux mois. On était partis pour une nuit, ça a dégénéré en cinq nuits. Et puis on s’est séparés.

Seung-Chul : Et aujourd’hui, on est en couple ! "

 

Et sous le regard étonné des autres, il sort un petit écrin de sa poche et le tend à Sarah médusée.

"C’est pour toi. Un cadeau de couple sorti de terre... "

Elle prend la boîte, méfiante.

"Je te préviens, si c’est un diamant, je te le jette à la figure ! J’ai horreur de cette coutume à la con ! "

-Yah! Je ne suis pas à genoux! Je ne sais pas ce que c’est, je n’ai pas pu l’ouvrir. Mais c’est un cadeau de Kaïa pour "la personne qui vit". Donc, c’est pour toi. Et ça ne vient pas de moi.

-Kaïa ? C’est qui ? Faudra m’expliquer tout ça. "

Sarah tourne l’écrin dans tous les sens, puis pousse de son ongle une petite aspérité.

La boîte s’ouvre. Il y a trois anneaux d’argent, gravés sur l’extérieur de trois montagnes imbriquées l’une dans l’autre, Seung-Chul et Sarah y voient trois S en coréen. 

 

 

À l’intérieur, on voit un triskel inversé.

                        

Sarah (en coréen): Trois S en celte et en coréen... C’est pas banal !

Mika (en anglais): Ben faudra juste que le prénom de votre enfant commence par un S.

(rires)

Sarah (en français): Petit con, fiston !

Seung-Chul Tout sourire (en anglais et en chuchotant à Mika) : Pourtant, c’est une bonne idée !

Sarah : C’est juste au cas où l’un de nous perde la sienne !

Elle prend l’un des anneaux, le plus petit, et le passe à son auriculaire.

J’accepte le cadeau. Je prends le mien. Enfile le tien s’il te plait.

Seung-Chul s’exécute.

Je garde le dernier. Déclare-t-il en passant l’anneau au même doigt. Jusqu’à ce qu’on lui trouve une utilité. "

 

Fondu au noir.

 

Lendemain pluvieux, boueux. Préparatifs des suiveurs, Au départ, une centaine de concurrents s’échauffent derrière la ligne. Sarah, Mika, Michel et Alain sont à la même hauteur. Ils veulent privilégier l’amitié quitte à négliger un peu la performance. Il pleut à verse quand le départ est lancé. Presque tous les participants ont un poncho de pluie. Il ne faut pas plus d’une demi-heure pour que des groupes de niveau de marche se dessinent.

 

Clip vidéo sur la musique de « ensemble » (goldman) ou « taxi driver (le k-drama) ou... ?

 

-Marche rapide de nos concurrents.

-Sandwichs midi sous la pluie, assis sous un arbre au bord du chemin, tout en observant la météo, l’aérologie, la topographie du chemin sur la tablette de Sarah. Propositions de Michel.

-Départ sur un "ok" général.

-Montée vers un sommet sous la pluie qui se calme, en marche rapide.

-Dépliage des ailes quand le ciel se dégage. Il a cessé de pleuvoir. Peu de concurrents ont choisi cette voie très incertaine. Beaucoup de place pour décoller deux par deux. Michel décolle avec Mika, Alain avec Sarah. Les plus vieux guident les plus jeunes pour un vol optimal.

-Le soir au bivouac, arrivée des concurrents à 20h50 (le couvre-feu de la course étant défini à 21h), sur 5mn d’intervalle, et chacun reçoit une bière avant même d’être assis.

Le bivouac= un combi hyunday 1000 gris, une Dacia Duster bleue et un Toyota Land Cruiser rouge. Un tarp à l’arrière des deux petits véhicules. Une table et des pliants sous l’un des auvents, une grande bâche aux bords relevés sous l’autre avec quatre matelas et sacs de couchage. Deux tentes plantées à côté.

-L’apéro et le repas sont prêts. Briefing de la journée pour tous, autour de la table. Ambiance détendue.

-Pendant que les suiveurs font la vaisselle, les concurrents préparent leur itinéraire du lendemain.

-Courte soirée sous le tarp, guitare et harmonica. Chants, rires, bâillements.

-Extinction des feux. Les 2A dans le camion, Sarah et son équipe sous le tarp, Michel, Alain et Zitoun dans les tentes.

-Lendemain : petit déjeuner à 7h, départ à 7h30 pour une heure de marche, puis vol.

Après le départ, les suiveurs rangent et ont la journée pour aller voler. Après-midi vol en bi-place pour les 2A qui pilotent Seung-Chul et Maguy. Zitoun décolle seul. Ils se sont arrangés pour les navettes.

-Deuxième soir sans les tarps : le beau temps est revenu. Même accueil que la veille.

-Pendant le repas, Zitoun fait une allusion à sa nuit avec Sarah.

"Tu as l’air fatiguée, Sarah. C’est la course ou la nuit qu’on a passée ensemble qui t’as achevée ?

-Ni l’un ni l’autre. Répond Sarah sans relever l’attaque. C’est plutôt que je suis sur un petit nuage. Je suis arrivée célibataire et me voilà en couple...Ça fait bizarre.

Céline traduit les paroles de Zitoun et la réponse de Sarah en anglais.

-Sarah N’Gué, Sarang-hé. déclare Seung-Chul en portant la main de Sarah à ses lèvres. Et s’adressant à Zitoun en français : mais toi je ne t’aime pas du tout !

-Tous les coréens sont-ils aussi tolérants envers les frasques de leur fiancée ? Ou tu es simplement un lâche ? Ça ne te fait rien que j’aie couché avec ta compagne ?

-Sarah se lève. Tout le monde est inquiet. Elle va juste se mettre tranquillement sur les genoux de Seung-Chul.

-En anglais : Arrête ce combat de coqs. Tu es ridicule. Ma Star sait très bien que j’étais libre avant-hier. S’adressant à Seung-Chul : Mika m’avait dit de ne pas céder car j’allais le regretter. Ils voulaient me faire la surprise... Ben fallait pas. J’ai horreur des secrets ! Tant pis. Mais je ne regrette rien car je n’ai rien fait de mal.

-Je sais. Ce n’est pas agréable de connaître cette histoire, mais c’est fait. Si on pouvait ne pas en reparler...

Sarah entraîne Seung Chul sous le tarp et l’assoit en tailleur pour s’allonger à côté, la tête sur ses genoux. Pendant que les autres débarrassent et font la vaisselle, elle joue de l’harmonica. Puis Mika se joint à elle avec sa guitare.

Seung-Chul ferme les yeux.

"Quelle soirée tranquille. Il n’y a aucun bruit, à part la musique. C’est... si paisible !

-Tu regrettes ta ville et tes soirées endiablées ?

-Bizarrement non. Ça me rappelle un peu Bija-Ri dans mon enfance. Sauf qu’ici, c’est la montagne. Je goute ce nouveau plaisir. Je n’aurais pas cru vivre ça un jour.

-Tu valides ?

Il se penche sur elle, petit baiser, puis il la serre très fort dans ses bras. Au bout d’un temps, quand ils se mettent à chahuter, Mika entonne un nouveau chant. Alors Sarah se joint à lui et ils interprètent plusieurs chansons à deux voix, les autres écoutent. Et puis Seung-Chul, accompagné de Sarah à la guitare chante « that woman » (BO de Secret Garden).

Clip : au milieu de la chanson, extinction des feux, couchage, nuit dans les bras l’un de l’autre, sous le tarp.

Conversation murmurée de Sarah et Seung-Chul, en coréen.

Sarah : "Tu ne peux pas m’en vouloir de la nuit que j’ai passée avec Zitoun. Nous étions sensés ne plus jamais nous revoir. J’étais célibataire. Libre.

-Je sais. Et je n’ai rien dit. Mais honnêtement, la jalousie me torture encore depuis qu’il en a parlé.

Silence.

Pourtant, je n’ai pas de leçon à donner. Pour être totalement honnête, je dois te dire...

À la fin de l’avant dernière soirée du stage, j’ai demandé à Lara l’autorisation de passer la nuit à la piscine. Elle a tout de suite compris la raison, et par compassion, elle m’a donné les clés de l’entrée par les vestiaires. En me déhanchant, j’ai installé les tapis pour faire le même radeau qu’avec toi. Je me suis glissé dans l’eau, j’ai fait quelques évolutions dans la cage à écureuil. Je me suis assis sur les marches du bassin, j’étais vraiment triste. (images de pleurs silencieuses.) J’ai porté à mes lèvres la bouteille de vodka que Léon m’a offerte pour ma prouesse au combat de sabres avec toi. Puis épuisé, je suis allé m’allonger sur le matelas flottant. Alternant larmes, vodka, somnolence... J’ai fini par tomber enfin dans un sommeil alcoolisé, sans rêve.

Ah si : J’ai rêvé !

J’ai rêvé que Se-Wi était allongée près de moi, nue, qu’elle me caressait les épaules, les cheveux. J’ai même rêvé qu’on s’embrassait. Elle était devenue noire et je l’appelais Sarah, Sarah, doucement, encore et encore. Ce rêve devenait absurde et dérangeant. Mais je me suis bel et bien réveillé dans les bras de Se-Wi.

Alors, je n’ai vraiment pas le droite de te dire quoi que ce soit. "

-Je sais aussi : tu m’as envoyé une photo de vous deux en train de vous bécoter cette nuit-là. J’ai eu tellement mal que j’ai bloqué ton numéro de téléphone.

-Ça ce n’était pas moi ! Je le jure !

-Maintenant, je le sais : comme je ne répondais à aucun de tes messages, nos camarades d’Epke2 m’ont submergée de textos, m’expliquant tout ce que tu avais fait pour rétablir la vérité. Ils ont vraiment plaidé ta cause tu sais. J’ai fini par douter de ma décision. "

 

Petit dej et briefing et c’est reparti à 7h30.

 

    Arrivée à Annecy tous ensemble : les jeunes encourageant les plus vieux pour aller plus vite. Ils arrivent à dépasser deux concurrents et arrivent ex-aequo en troisième position, trois heures avant la fin de la course.

-Bonne soirée de clôture sur la plage avec tous les concurrents.

 

Bivouac en haut d’Annecy.

Sarah et moi avons obtenu de passer cette nuit seuls sous les étoiles. Il fait frais, assis l’un contre l’autre, nous sommes emmitouflés dans nos duvets.

Nous contemplons le ciel nocturne en silence. Je serre ma compagne contre moi en repensant à ma dernière conversation avec Se-Wi.

 

Flash-Back :

Je m’étais réveillé dans les bras de Se-Wi, l’avant-dernière nuit dans la piscine.

Brume alcoolisée du réveil.

Surprise et sursaut.

Chute dans l’eau fraiche du bassin.

Une tasse.

Je tousse.

Je nage vers les escaliers comme je peux, puis je me déhanche précipitamment vers mes vêtements. Je m’assoie comme je peux pour m’habiller. Se-Wi me regarde tendrement, toujours allongée sur le radeau.

"Comme tu es gêné, mon cœur. C’est surprenant après la nuit que nous avons passée. Te voilà revenu à moi, comme toujours. J’ai accepté que tu flirtes avec la grande noire parce que je savais que tu me reviendrais. Comme toujours. Depuis qu’on se connait, tu reviens toujours vers moi après tes aventures sans lendemain. Mais cette fois mon cœur, je ne te laisserai plus car nous sommes fiancés.

J’étais au bord du bassin à tremper ma tête dans l’eau pour atténuer la brume de l’alcool. J’ai sursauté si fort à la fin de sa phrase que j’ai failli retomber dans l’eau.

-Mais d’où te vient cette idée de fiançailles à la fin ? Je ne t’ai jamais dit que je t’aimais, et encore moins offert une bague de fiançailles !

Ma colère devient bruyante. Des larmes perlent aux yeux de Se-Wi.

-Ne crie pas mon cœur. Tu as été si doux cette nuit. Tu n’arrêtais pas de me dire que tu m’aimais, que nous étions vivants. S’il te plait, ne crie pas !

Là j’ai libéré toute la colère et l’exaspération que j’avais retenues jusque-là.

-Mais c’est quoi ces histoires ? Es-tu une adolescente ? Tu confonds gentillesse et amitié avec l’amour ! Je t’aime comme ma petite sœur, pas comme ma femme ! Tu dépasses les bornes !

-Pourtant cette nuit, tu m’as embrassée comme une femme, tu m’as fait l’amour comme à une femme, tu m’as dit que tu m’aimais, qu’on était vivants !

Elle pleure maintenant. Mais j’ai de plus en plus de mal à la prendre en pitié.

-Arrête ! Arrête de te raconter des histoires ! J’ai l’impression de lire « la vie de Sé-Wi » sur ta page Twit ! Je suis venu ici pour être seul ! Je voulais passer la nuit seul ! Tout le monde a compris ! Tout le monde sauf toi, visiblement.

-C’est toi qui te racontes des histoires : regarde !

Elle s’est levée, s’est précipitée vers moi et a récupéré mon mobile dans ma poche. Elle a pianoté dessus et m’a montré une photo. De nous deux, l’un contre l’autre, j’embrassais son cou. Sur la photo, on aurait cru que j’étais nu. J’ai saisi le téléphone et fait une rapide inspection de mes photos et de mes fichiers. J’ai ainsi pu voir que la photo avait été envoyée à... Sarah bien sûr.

C’était tellement mesquin, méchant, cruel.

-Là, tu viens de briser le peu d’affection qui me restait pour toi. Tu sais très bien au fond de toi que je ne te déclarais pas mon amour. Tu sais très bien que Sarah N’Gué ressemble à je t’aime en coréen. Tu sais parfaitement que je parlais de Sarah et pas de vie ! Soit tu es la plus cruelle des femmes, la plus égoïste, soit tu es la plus stupide... Soit tu es une véritable psychopathe !

Je range le mobile dans ma poche.

Ah ! Autre chose : je ne peux pas faire l’amour quand je suis ivre... C’est comme ça. Et en plus, je me suis converti au PESP !

-C’est quoi le PESP ?

-Ma nouvelle religion !

Je finis de lacer mes chaussures.

Je n’ai jamais voulu te faire souffrir. Mais je ne veux pas... je ne veux plus...de toi dans ma vie !

Je me lève et me déhanche jusqu’à mes béquilles, la bouteille de vodka vide dans la main. Devant l’entrée, je me tourne pour ajouter :

Je n’ai jamais voulu te faire souffrir. Mais toi, tu viens de me causer la plus grande souffrance de toute ma vie. Sois heureuse, Sarah m’a quitté. Mais ça ne changera rien entre nous : je ne t’aime pas et ne t’aimerai jamais.

J’ouvre la porte et termine :

J’ai tellement mal, à cause de toi ! Si tu souffres, ça m’est complètement indifférent. Ne compte pas sur ma compassion".

 

Retour au ciel étoilé. Je tourne la tête vers ma Sarah, et je suis tellement bien. Je pose ma tête sur son épaule. On est tellement bien.

   Tout à coup, une question me vient à l’esprit.

"C’est vrai que ce sont les Ekpè2 de notre groupe qui t’ont dit pour Se-Wi et moi ?

-Oui, Ji Sang m’a même envoyé les liens vers les pages de Se-Wi et surtout vers ta page.

-Mais tu avais bloqué mon numéro ?

-Oui, j’avoue. Je n’ai pas résisté et j’ai vu tous tes posts depuis mon retour en France. J’ai vu combien tu as tenté d’arranger le coup. J’ai aussi vu les rectifications sur « la vie de Se-Wi ».

-Alors pourquoi ne m’as-tu pas rappelé ?

-J’avais encore trop mal. Ce genre de blessures, c’est plus long à cicatriser qu’une clavicule ou une côte.

Je la serre de mes deux bras, si fort qu’elle commence à se débattre en riant. Nous chahutons comme deux collégiens, puis nous nous endormons paisiblement. L’espoir retrouvé. Le bonheur retrouvé.

 

Fondu au noir.

 

Aéroport d’Inchéon, deux semaines plus tard.

Maguy et moi attendons devant la porte de sortie du vol de Paris. Nous allons accueillir les dix français qui ont pu se joindre à nous pour la promotion de l’émission sur le stage Epkè2. Mon cœur bat la chamade, bien-sûr. J’ai vu ma Sarah il y a à peine deux semaines, nous nous téléphonons chaque jour, et pourtant, je suis impatient. Comme toutes les attentes, celle-ci est insupportable, mais aussi enthousiasmante. Comme toutes les attentes, celle-ci est à vivre, pleinement, intensément. Ce moment ne reviendra plus.

Ah ! Le renard a raison : l’attente prépare le cœur. Énée a raison : il faut gouter pleinement chaque instant de bonheur. Georges Sand a raison : "Mais j’ai aimé : c’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui." Et enfin, Sarah a raison : "J’aime, je vis... " autrement dit : "j’aime donc je vis. " Et comme elle, je ne suis pas d’accord avec Descarte : Je ne suis pas vivant parce que je pense : je suis vivant c’est tout, je n’ai pas le choix. Alors je pense... que je suis vivant...

Bref !

Je viens de vous faire gouter à l’attente...

 

Ils sortent.

    Je reconnais les premiers et leur donne l’accolade à l’européenne : ils étaient dans mon équipe. J’accueille les autres avec une chaleureuse poignée de main occidentale. Cependant, ils restent plantés devant la sortie, m’empêchant de voir les derniers arrivés. J’ai beau allonger le cou, je ne la vois pas. Un doigt tapote mon épaule. elle est derrière moi. Je n’ai pas le temps de tourner la tête : ses bras enlacent ma taille et ses lèvres viennent caresser mon cou sous le regard complice des autres, qui ont déjà formé un cercle de discrétion autour de nous. Je tends les béquilles à Kev Luz et Sarah et moi commençons à avancer vers la sortie, nous tenant par la taille, sans les jambières cette fois. Les autres nous suivent en discutant gaiement avec Maguy-Shi. Sur le chemin, nous remarquons beaucoup de regards dirigés vers nous, certains curieux, d’autres chaleureux, et quelques-uns vraiment hostiles.

    Un bus nous attend sur le parking. À la sortie de l’aéroport, une troupe de fans enthousiastes nous attend, avec des banderoles de bienvenue aux vedettes françaises. Sarah et moi sortons en dernier. Au moment où nous franchissons la porte, nous entendons un claquement sec et je sens ma compagne basculer la tête vers l’arrière. Je me tourne vers elle et je vois ses yeux écarquillés, un petit trou en forme d'étoile rouge sombre au milieu du front. Ses jambes se dérobent sous elle.

 

Gros plan sur le visage de Sarah, yeux écarquillés, tête qui part en arrière avec la tache rouge sur le front. Zoom arrière quand ses jambes ne tiennent plus. Seung-Chul la retient par la taille.

Hurlements.

"Péha ! " (Majesté, ma reine...)

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