Les écrans géants de Séoul.
On en voit aussi sur les façades d'immeubles.
Ha Ji won (la Gil Ra-Im de l'épisode. Clin d'oeil au Drama Secret Garden dont le principal personnage est une cascadeuse, Gil Ra-Im)
La Tour Namsan
Incontournable monument de Séoul
Michèle Yeoh, (la Michèle Néo de l'épisode. une des amazones du SMSC)
Les bars de rue sous barnum
Lee Jong Suk (le Lee jun suk de l'épisode)
Park Seo Jun (le Park Ha-Jun de l'épisode.)
Reprise de la chanson de Goldman "Leidenstadt"
Chapitre 8
Replay :
Un bus nous attend sur le parking. À la sortie de l’aéroport, une troupe de fans enthousiastes nous accueille, avec des banderoles de bienvenue aux vedettes françaises. Sarah et moi sortons en dernier. Au moment où nous franchissons la porte, nous entendons un claquement sec et je sens ma compagne basculer la tête vers l’arrière. Je me tourne vers elle et je vois ses yeux écarquillés, un petit trou en forme d'étoile rouge sombre au milieu du front. Ses jambes se dérobent sous elle.
Gros plan sur le visage de Sarah, yeux écarquillés, tête qui part en arrière avec la tache rouge sur le front. Zoom arrière quand ses jambes ne tiennent plus. Seung-Chul la retient par la taille.
Hurlements.
"Péha ! " (Majesté, ma reine)
La plupart des fans s’écarte. D’autres, vêtements, casquettes et masques blancs, les bousculent pour se mettre en première ligne.
Sarah s’est redressée, a porté la main à son front en fronçant les sourcils, un peu de sang suinte entre ses mains. Regardant derrière moi, elle m’écarte précipitamment et lève les bras pour protéger sa tête, en position de combat. Je suis projeté au sol. Sarah est bombardée de douzaines d’œufs. Mais il n’y a pas que des œufs : une autre bille d’acier lui ouvre l’arcade sourcilière. Une cacophonie de cris nous assaille.
-Ne touche pas nos vedettes avec tes sales pattes !
-Sorcière, tu l’as envouté !
-Les français sont des paresseux et des profiteurs! Éloigne-toi de notre Idol (prononcer à l'anglaise)
-Sale noire, ne salis pas notre oppa ( Grand-frère, mais aussi chéri, petit copain selon le contexte!)
À quatre pattes, au sol, j'ai perdu toute dignité! Mais les furies ne me voient même pas: elles sont trop occupées au lynchage. Je tente laborieusement de me relever sans les béquilles. Heureusement, les Epkè2 se sont interposés pour dresser un mur vivant autour de Sarah. Des coups de sifflets se font entendre. La sécurité arrive. Les manifestants en blanc s’éparpillent.
Fondu au noir
Dans le car qui nous emmène à l'ambassade.
Plus de trois heures s’étaient écoulées. Pendant notre déposition au centre de police d'Incheon, beaucoup de journalistes avaient afflué. L’évènement était déjà connu des médias et l’agression passait sur les chaînes de télé. Nous avions pu le voir sur les écrans géants de la ville pendant notre trajet en car. Une telle manifestation d’hostilité envers une ressortissante étrangère, c’était un scoop : cet incident affectait les relations diplomatiques des deux pays. L’ambassade comme le ministère des affaires étrangères, le ministère de la culture et même celui de la sécurité intérieure ont eu fort à faire pour apaiser les tensions.
Les autorités auraient bien aimé étouffer l’affaire, mais la nouvelle avait déjà été répandue sur les réseaux sociaux, tant par les manifestants en blancs que par les autres. Et tous ceux qui le voulaient pouvaient voir ce qui s’était passé à l’aéroport d’Incheon sur le net. C’est pourquoi les chaînes de télé se sont saisies de l’information. Donc, dans le car, nous avons pu voir Léon Bosson et Ahn Ae-Jin, les réalisateurs de notre groupe, aux flashs info sur les écrans géants. Léon parlait en anglais et Ahn Ae-Jin traduisait.
"...choqués par cette manifestation de violence contre notre amie Sarah N’Gué. Car plus qu’une étrangère, Sarah est à l’origine de cet échange culturel entre nos deux pays. Qui aurait pu penser qu’une simple rencontre entre gens du cinéma dégénèrerait ainsi ? Nous espérons que les agresseurs seront vite appréhendés et jugés pour avoir molesté, humilié notre compatriote et entravé le rapprochement culturel de nos deux pays.
-(Ahn Ae Jin) : À travers cette agression, c’est toute la Corée qui vient d’être humiliée face à la France, voire face au monde. Nous ne pouvons pas laisser passer ça. "
Un peu plus tard dans la journée, les autorités ont diffusé un communiqué allant dans le même sens. Finalement, ce n’était plus une agression collective contre une personne mais une manifestation humiliant la Corée aux yeux du monde... Sarah a fini par être purement et simplement oubliée: les médias ne parlaient que de l'affront des manifestants en blanc...
C’est Sarah qui m’a calmé lorsque j’ai exprimé ma colère dans le car, après avoir vu le flash d’informations. Je ne pouvais pas contenir toute cette rage face à mon impuissance : non seulement je n’arrivais pas à la protéger mais elle avait subi cette agression à cause de moi. Et personne ne la plaignait sur les ondes. J’étais d’autant plus en colère que la peur s’était installée en moi : ils n’en ont pas fini ! Elle va encore souffrir... Et elle va me quitter.
Flashback en fondu enchaîné sur ses paroles au retour de Bija-Ri.
"Je n’ai pas envie de me battre pour être acceptée par ta famille, par ta maison de production, par tes fans. C’est perdu d’avance. Je ne veux plus vivre ça. Plus jamais ! "
Non, c’est à moi de la quitter pour lui éviter ça.
Alors, assis à côté d’elle, dans le car, j’ai laissé échapper ma peur.
"Je n’avais pas mesuré à quel point j’étais prisonnier... de ma maison de production, de mes fans... et à quel point c’était dangereux pour toi d’être avec moi. Je ne veux pas que tu souffres. Mais je n’arrive pas à trouver le courage de te quitter.
-Il faut plus que des œufs pour tuer notre amour, non ? Je suis en colère, mais pas contre toi. Et je ne les laisserai pas gagner ! Pas cette fois ! "
-Je ne veux pas que tu me quittes ! Tu le sais, mais je ne veux pas que tu souffres à cause de moi.
- Tu n’es pour rien dans ce qui se passe. Ce serait pire si je rentrais en France. Nous souffririons tous les deux, on a déjà essayé.
- Je leur ferai payer, aux agresseurs en blanc !
- NOUS leur ferons payer ! "
Après l’installation des français à l’hôtel près de l'ambassade, la soirée devait se poursuivre par un repas au restaurant coréen de la Tour Namsan. Restaurant très sélect. Plats traditionnels coréens revisités par une présentation européenne, avec une vue splendide de la capitale. Au moment de nous y rendre, la plupart des Ekpè2 coréens nous attendait dans le hall de l’hôtel, ce qui fait que nous sommes tous partis dans le car qui nous avait amenés.
Une petite foule s’était rassemblée au pied de la tour, manifestant cette fois pacifiquement leur soutien à Sarah, considérée comme ma compagne. Pour m’éviter les béquilles, Sarah et moi étions de nouveau liés, enlacés dans notre marche siamoise, et la foule nous a ouvert le chemin jusqu’à l’entrée de la tour, comme une haie d’honneur.
Quand nous nous sommes assis autour des tables, chacun de nous était soulagé que tout se soit passé sans encombre. Nous avons commencé par un apéritif à l’européenne, suivie d’une entrée légère. Durant tout ce temps, une ambiance bruyante et amusée régnait à la table de Se-Wi, où s’étaient retrouvés Christian Dupape, Park Mo-Jun, le compositeur de leur groupe et son comparse parce qu'il parlait aussi espagnol, ainsi que quelques autres personnes hautes en couleurs, connues pour user de psychotropes. Maguy-Shi les a rejoints plusieurs fois pour leur demander d’être plus discrets. Au moment du plat principal, un bibimbap à la française, l’attachée culturelle était rassurée : les convives de la table du fond s’étaient calmés. Curieusement, les caquelons ont été servis munis d’un couvercle. À la table de Se-Wi, Christian a clamé haut et fort que c’était une bonne idée que son groupe ait demandé à couvrir les plats pour éviter qu’ils ne refroidissent. Le maître d’hôtel, se tenant devant la cuisine, a salué et remercié le français d’avoir partagé le savoir-faire de la cuisine française. C’était surprenant que le chef cuisinier ait accepté de changer ses pratiques, mais... Après tout, nous recevions des français, inventeurs de la haute gastronomie.
Scène au ralenti
Chacun découvre son plat et on entend des exclamations de plaisir, tant pour la vue que pour le parfum. Au même moment, à notre table, tout le monde se lève précipitamment et recule, dans un grand bruit de chaises et de cris. Immédiatement, Sarah se scratche à moi et m’entraine dans un bond en arrière. Elle chasse ensuite les cafards qui nous ont grimpé dessus dans leur affolement. Un grand éclat de rire nous vient de la table de Dupape. La moitié des convives de cette table se lève et applaudit. Par on ne sait quel moyen, le caquelon de Sarah avait été rempli de cafards, grosses blattes marron et grouillantes. C’est un désordre général : les Ekpè2 de notre table sont tous adossés à la baie vitrée, levant les pieds pour échapper aux cafards ou les écraser.
Reprise en vitesse normale.
Le maître d’hôtel et les employés s’agitent pour récupérer les insectes.
.... Sarah se penche pour défaire sa jambière, sans un mot. Altière, elle se dirige calmement vers les fauteurs de trouble. Elle se poste face à Christian-Shi (Monsieur Christian, impossible d'échapper à cette politesse en coréen).
Christian (en anglais): "Ha ! Tu aurais vu ta tête ! C’était vraiment une bonne blague !
Sarah : pas mal en effet. L’idée vient de toi ?
Park Mo Jun (yeux vitreux) : Non, c’est moi qui ai préparé ton plat. J’ai juste demandé à un employé de te le servir.
Christian (mêmes yeux): Park Mo-Jun est fort en logistique : personne ne s’est douté de rien !
Park Mo-Jun : Aujourd’hui dans le car, nous avons repensé à ce que tu disais sur ta vie de soldat. Tu disais qu’en Chine, les cafards qu’on servait dans les rues étaient grillés... Pas comme dans ton camp en Afrique où tu les mangeais crus et vivants.
Christian : Et tu avais l’air de trouver ça moins à ton goût. Alors, on a voulu te faire plaisir ! C’était une bonne blague, hein.
Fondu enchaîné.
Flashback sur l’enfance de Sarah dans le camp militaire.
Voix off : "Pendant notre « formations », à notre arrivée, nous étions parfois si affamés qui nous mangions tout ce que nous trouvions dans notre enclos : mouches, asticots, cafards, et quelquefois, carrément de la terre pour donner à notre estomac l’illusion de digérer et calmer l’acidité de notre faim. "
Les instigateurs de la farce se mettent à rire à gorge déployée.
Visiblement, ils n’ont pas usé que d’alcool ce jour-là. Kev Luz, l'acteur français de notre groupe, se penche vers Céline Vigne, l'actrice de notre groupe aussi,et lui glisse :
"À ton avis, herbe ou extasie ?
-Coke ?
Corine Sarreau, réalisatrice d'un autre groupe, se joint à la conversation en anglais.
-Ils sentent l’alcool à plein nez !
Et tout le monde donne son avis.
-Soju ? -Hashish ? – Héroïne ? ...
Pendant ce temps, plus personne ne fait attention à Sarah qui s’approche de Park Mo-Jun et l’oblige à reculer progressivement vers le mur du fond. Elle l’immobilise en se plaquant sur lui et l’embrasse fougueusement, à la française. Je fais un pas dans leur direction, étonné et furieux. Je ne comprends pas ce qui se passe, et je suis jaloux ! Mais je vois le compositeur s’agiter frénétiquement en tentant de se dégager. Quand il arrive enfin à faire reculer Sarah, il se penche en avant et dans un spasme, crache une forme brune suintant d’un jus jaunâtre, qui s’échappe rapidement vers le mur.
Sarah recule, souriante.
"Oui, c’était une bonne blague. Mais ç’aurait été moins drôle si je n’avais pas partagé avec toi le goût du cafard. "
En revenant vers moi, elle passe devant Christian, qui recule prestement, inquiet, et elle me fait un clin d’œil. Je comprends qu’elle m’a vu me baisser aussi tout à l’heure. Alors, je m’avance vers le grand brun, Sarah enroule son bras autour de son épaule pour l’immobiliser. Je saisis ses joues et lui ouvre la bouche de force. Le cafard est entre mes dents. Je le lui enfonce dans la bouche et referme ses lèvres. Sarah et moi le maintenons alors qu’il se débat. Quand nous le relâchons, il tombe à quatre pattes en recrachant une bouillie brune écœurante.
"Nous ne voulions pas que tu rates ce met raffiné. Ç’aurait été une faute de goût..." dit-elle en français, ce qui fait éclater les français de rire. Après traduction, les coréens se joignent à l’hilarité des français. Sauf Se-Wi. Son regard ne quitte pas Sarah des yeux. Regard hostile, voire haineux. Maintenant que j’ai vu sa vraie nature, J’arrive à m’en rendre compte.
Fondu au noir
Le temps d’assainir la salle, le majordome a installé tout le monde dans un salon pour patienter . Mais plus personne ne veut rester de toutes manières et: l’ambiance est définitivement gâchée. Mes compatriotes partent petit à petit. Il ne reste bientôt que notre groupe d’Ekpè2, ainsi que Ji-Sang, l'acteur préféré de Sarah (après moi) et quelques autres très bons amis, mais sans Christian qui est parti avec Mo-Jun et leurs comparses.
Sarah et moi sommes assis sur une banquette, entourés des amis. L’ambiance est morne.
Soudain, un cri : "Sar-Ha ! " (Souvenez-vous: On est vivants). Elle bondit de son fauteuil, m’aide à me mettre sur mes jambes et nous invite dans la première bar de rue que nous verrons en nous promenant. Au pied de la tour, une dizaine de fans sont encore présents, attendant notre sortie. Saluant leur ténacité, Sarah les invite aussi.
Style Clip vidéo
Ai-je déjà dit que ma Sarah était loin d’être discrète ?
Surtout quand elle était en colère.
Surtout quand elle avait bu.
Surtout quand elle était heureuse.
Et ce soir-là, sous la tente du bar, c’était un combo : elle était les trois à la fois.
Sarah était surexcitée : elle goûtait tous les plats de rue qui lui avaient mis l’eau à la bouche dans ses Dramas favoris. Elle buvait beaucoup de Soju. Elle voulait battre à elle toute seule le record des douze bouteilles alignées, record qu’elle avait admiré dans un épisode. Elle ne voulait pas d’aide. Plus tard, elle a décrété que c’était la meilleure soirée séoulienne (elle a prononcé saoulienne) qu’elle ait jamais passée. Elle s’est même mise à chanter en prenant une bouteille vide plantée d’une petite cuiller symbolisant un micro. Elle a entonné un très joli chant, mélancolique, tout à fait approprié, que sa sœur traduisait au fur et à mesure. ("Né en 17 à Leidenstadt" Goldman.) Les français, qui connaissaient bien le chant, l’ont accompagnée en polyphonie pour la fin de la chanson. À la question des Ekpè2 coréens qui leur ont demandé d’où leur venait ce talent de chanter en chœur, ils ont ri en disant : "C’est parce qu’on est des enfoirés ! " J’ai compris pourquoi des années plus tard. C’était beau. Le groupe de fans qui nous accompagnait postait photos et vidéos sur les réseaux.
Je dois reconnaitre que j’étais assez guilleret moi-même, n’ayant pas voulu laisser ma compagne boire seule. Juste après, aidé de mes compatriotes, j’ai chanté le tube "That woman" de Secret Garden, en l’honneur de ma reine.
Pendant ce temps, l’un des enfoirés a synchronisé son portable avec l’enceinte bluetooth du restaurant et a réglé le volume assez fort. Les français ont alors entonné une chanson : "1 2 3", toujours de Goldman, qu’ils avaient répété pour leur tournée des "enfoirés" justement. Un rock si entraînant que Sarah m’a piloté au milieu des tables pour danser. Elle était déchainée et faisait des passes sautées autour de moi, qui ne bougeait pas encore très vite. Mais qu’est-ce que c’était bon ! Les autres s’y sont mis, hors de la tente dont les parois étaient repliées. Dans l’allégresse générale, le patron nous a demandé de nous calmer pour éviter les ennuis.
Une journaliste discrète nous avait suivis et son caméraman filmait depuis le début de la soirée. Sarah l’avait remarquée. Ah ces français ne manquent pas d’idées incongrues ! Elle est allée discuter deux minutes avec la journaliste, puis a repris sa bouteille-micro pour annoncer à la cantonade : Allez les gars ! On retourne à Namsan ! À pieds ! Je vais vous faire une surprise !
Elle m’a délaissé sur le trajet pour discuter avec sa sœur qui avait l’air mécontente en prenant son téléphone. Arrivés sur l’esplanade de Namsan, nous étions encore tous sous l’effet de l’alcool. C’est pourquoi nous avons obtempéré joyeusement quand elle nous a placés un à un sur la place. Je n’ai remarqué le camion de la télé qu’au moment où la musique a commencé dans leur haut-parleur. C’était le morceau composé par Axelle Toligny, compositrice de notre groupe, et Park Mo-Jun que nous avions répété pour une chorégraphie intégrée dans notre court-métrage. Dès les premières notes, ma Sarah s’est mis à sauter sur place, en levant un bras bien haut, le tournant comme si elle avait un lasso, et criant "Flash-Mob Flash-Mob Flash-Mob ! "
Malgré notre ébriété, nous avons exécuté la chorégraphie deux fois : la première sur la musique de notre court-métrage, la deuxième sur une chanson oubliée des français eux-mêmes : "l’oiseau noir et l’oiseau blanc" de Mike Brant (mort au siècle dernier). Le rythme du dernier morceau allait parfaitement à la bande avinée que nous étions : suffisamment lent pour ne pas faire de faux-pas. Et le lendemain, les médias ont salué le choix judicieux de ma belle noire en retransmettant la vidéo de la flash-mob sous-titrée. Une chanson pour la paix et la diversité.
Du jamais vu à Séoul ! Une flash-mob exécutée par des acteurs sous contrat, en pleine rue, sans autorisation ni de leur agence, ni des autorités. Mais relayée sur les réseaux par les fans, et sur les ondes par la journaliste et son caméraman. Plus tard, quand Lee Jun-Suk, acteur idolâtré d'un autre groupe, en a fait la remarque, Sarah a rétorqué que vu l’accueil qui lui avait été réservé, la Corée et l’ambassade de France pouvait lui offrir ça.
"On verra demain pour les problèmes ! " a-t-elle conclu en imitant son clin d’œil doublé du claquement de langue. Et là, elle s’est écroulée dans mes bras, sourire aux lèvres. On a juste eu le temps de l’entendre dire :
"J’ai battu le record des bouteilles de soju ! Suis la meilleure buveuse ! Et en plus, j’ai bien dansé ! " Avant un ronflement sonore et aviné. Les Ekpè2 m’ont aidé à la ramener dans le car sous les applaudissements des passants. Alors que je la tenais par la taille du côté valide, en m’aidant de la béquille de l’autre côté, Jun-Suk la soutenait par la droite. Les bras de Sarah entouraient nos épaules. Au bout de la place, elle nous a arrêtés, m’a forcé à la regarder et a commencé à parler en coréen, avec une prononciation très alcoolisée et en hochant la tête à chaque mot.
" Ma star, j’ai de la chance de t’avoir rencontré. Tu es gentil, beau, drôle, tu aimes la vie.
Tu es gentil.
Beau...
Drôle...
Tu es vivant.
Sarang-Hé."
J’ai saisi l’occasion pour l’embrasser tendrement, longuement, pour que tous nous voient et que le caméraman ne rate pas ce moment. J’ai attendu suffisamment longtemps pour qu’il ne rate pas mes paroles non plus.
-Sarah N’Gué, sarang-hé ! Tu es celle que je n’attendais pas mais que je ne laisserai pas partir. Personne ne pourra nous séparer. Jamais. Ni dans cette vie, ni dans les autres.
-Sacha et toi, vous vous seriez adorés.
-On se serait battus oui...
(Me tournant vers la caméra qui s’est vraiment beaucoup approchée): Nous nous battrons... contre les racistes et ceux qui me prennent pour leur objet. Et je vous préviens : nous gagnerons ! Parce que nous aimons et nous sommes vivants."
Devant l’hôtel, j’ai pris un taxi pour ramener ma reine chez moi. J’avais beau être éméché moi aussi, j’étais conscient de ce moment merveilleux où on accueille l’autre dans son intérieur. Plaisirs simples à déguster :
-Faire entrer celle que j’aime chez moi pour la première fois.
-Prendre avec elle la première douche, chez moi.
-Lui prêter un vêtement à moi pour la nuit.
J’ai même dû lui brosser les dents moi-même vu son état. J’en conviens, ce n’étais pas utile... Enfin si quand-même! L'haleine alcoolisée, c'est pas terrible. Et puis c’était tellement intime.
Une première fois, ça ne revient pas.
Alors, de jolis moments à déguster sans modération.
Après que je l’aie aidée à s’allonger, elle a fouillé dans le tiroir de la table de nuit. Pourquoi ? Je n’ai réalisé qu’après coup. Quand elle m’a tendu un étui en souriant, je me suis précipité pour le lui enlever des mains. J’en ai profité pour enlever la boîte qui traînait encore dans le tiroir et la cacher aussi dans mon dos.
" Je te jure que je ne m’en suis pas servi depuis qu’on se connait !
- Je n’ai rien dit. A-t-elle répondu avec son regard espiègle, celui qui m’a fait craquer au repas de l’ambassade. Je pensais bien que ce serait encore là. Ne le range pas. Viens."
L’invitation était claire et je me suis empressé de la rejoindre nu sous les couvertures.
Fondu au noir.
Le plaisir du premier matin. Elle est chez moi.
Me lever plus tôt qu’elle pour préparer la soupe anti gueule de bois. La regarder longuement dormir, paisible, dans mon lit. Admirer son réveil, visage ensommeillé. Son sourire dès qu’elle me voit. Caresser ses cheveux soyeux pendant qu’elle s’étire langoureusement. Me recoucher avec elle, pour ne pas dormir... Puis l’aider à se lever. Déjeuner en amoureux. Il fait bon. Il fait beau. Mais nous restons dans notre nid jusqu’au moment de partir : on est fatigué de se battre pour notre amour. Nous regardons les réseaux sociaux, les infos, pour voir ce qui se dit de nous. Par exemple la soirée d’hier au restaurant qui a été largement diffusée, et la flashmob. Et ce que je lui ai dit à la fin, avant de l’embrasser. Quand nous avons tout regardé, je m’apprête à publier une photo de la tablette de ma salle de bain, sur laquelle trône mon verre à dent avec DEUX brosses. On me voit prendre la photo dans le miroir. Légende : "En couple et heureux de l’être. Merci à ceux qui nous soutiennent." Sarah tente de saisir le téléphone pour effacer la photo, inquiète.
"C’est pas parce que tu es heureux que tu as le droit d’être bête hein ! Ne sois pas provocateur comme ça." dit-elle en commençant à chahuter. Mais j’ai été le plus rapide. La photo a été publiée. Nous nous sommes tellement amusés, dans le sofa, que nous avons failli laisser passer l’heure d’aller au studio. Le soir, pour l’émission, Sarah porterait les mêmes vêtements qu’hier. Ça va jaser...
Lorsque nous sommes sortis de l’immeuble pour prendre un taxi, une équipe de cinq femmes en survêtement vert au logo de SMSC nous a emboîté le pas en nous guidant vers un van vert garé juste devant nous. Elles portaient toutes une longue queue de cheval prise dans une casquette verte. Sur la joue, elles avaient peint un œuf noir dans lequel on lisait en blanc : "사랑해, 살아" (j’aime, je vis). C'était leur façon de manifester leur réprobation contre le lynchage de la veille. Elles étaient toutes coréennes. L’une d’elles avait les cheveux blancs : Michèle Neo. Nous étions trop surpris pour dire ou faire quoi que ce soit. Nous sommes montés dans le véhicule avec elles. Une fois la portière refermée, Sarah a laissé éclater sa joie : Pour elle, rencontrer Michèle Neo en personne, savoir que cette actrice se souciait d’elle, ça tenait de la magie. Mais petit à petit, le silence s’est installé. Bien à l’abri dans notre cocon, nous avions fini par oublier les évènements de la veille. La présence des cinq amazones du SMSC nous remémorait la scène de l’aéroport.
Flashback :
Sarah à terre, couverte de coquilles d’œuf, du sang dégoulinant de son arcade sourcilière, les français l’entourant, recevant des projectiles à leur tour. Moi, au sol, tentant de me relever en hurlant d’arrêter.
Sarah, le visage en sang, couverte d’œuf et de coquilles, escortée vers le poste de contrôle par la sécurité. Les français qui suivent en se défaisant comme ils peuvent des restes d’œuf. Les agresseurs en blanc qui s’enfuient comme une volée de moineaux.
Mon manager, Min-Ji, qui arrive au poste quinze minutes plus tard, faisant beaucoup de bruit pour rien :
"Scandaleux... Porter plainte... Tu vois, je te l’avais dit : tes fans... pas prêts à accepter que tu sois avec une étrangère... Une africaine en plus... Terni ton image..."
Sarah qui se lève du banc où elle se reposait. Qui récupère un reste de jaune et de coquille sur son polo et l’écrase sur la veste de Min-Ji.
" L’africaine, elle t’emmerde ! "
Sarah et moi qui reculons devant les cafards, notre revanche sur les fauteurs de trouble...
Retour au présent.
Je remercie la femme aux cheveux blancs, sans qui nous aurions fini par nous sentir en danger. Elle nous explique qu’elles ont dû tirer au sort pour nous escorter, car toutes les amazones voulaient venir. C’est le pilote d’Hélicoptère de Jéju qui les a pilotées jusqu’ici.
Arrivés devant le studio, nous sommes pris en charge par l’équipe de l’émission. Notre escorte exige une loge individuelle pour Sarah et moi, elles surveillent : deux avec nous, trois devant la porte, elles prennent les évènements très au sérieux. Maquillage, habillage, plateau. On nous attribue nos places. Sarah m’accompagne en siamois sur la banquette centrale avec les autres acteurs et va s’assoir sur une chaise installée derrière. La place discrète de l’interprète. Maguy-Shi est aussi en arrière, de l’autre côté. Tous les français, ainsi que moi, avons demandé aux maquilleurs, sur la joue l’œuf noir des amazones (celui de Sarah est blanc...). Certains ont gardé le texte en coréen, d’autres en français. "J’aime, je vis". Pour le reste, il m’est difficile de retranscrire exactement l’émission. Ce qui reste aujourd’hui dans ma mémoire, c’est l’ambiance de l’interview, les lumières, les visages, Min-Ji installé dans les spectateurs, au dernier rang, en costume et borsalino blanc. Toujours très classe. Ce qui s’est dit... Pas de souvenirs. Ce n’était qu’une soirée de promotion d’une émission comme tant d’autres. La mémoire me revient à partir du moment où l’animateur Park Ha Jun, m’a demandé d’où était venu l’idée des jambières et de la marche en siamois.
Plusieurs plans de la scène qui suit. Plus un ralenti.
Une petite détonation au-dessus de nous, dans le rail des projecteurs. Nous n’avons pas le temps de regarder ce qui se passe : une cascade de vase et de vers se déverse exactement sur Sarah. Nous nous levons tous. Nous crions tous. Les amazones s’activent : l’une d’entre elles se rue dans les rangs des spectateurs pour trouver le coupable, deux autres bloquent les sorties, gardant ainsi les spectateurs sous les yeux, les dernières sortent de la salle pour inspecter les couloirs, Je me lève, ôte chemise et T-shirt pour essuyer le visage de Sarah couvert de boue. J’emmène Sarah dans les coulisses, vers notre loge.
La voix de Ha-Jun se fait entendre dans les haut-parleurs du plateau : "S’il vous plait, ne quittez pas votre place pour l’instant, raisons de sécurité. Reprise de l’émission dans dix minutes." Les Ekpè2 français protestent. Ils ne comprennent pas qu’on n’arrête pas l’émission. Quand nous entrons dans la loge, Sarah s’assoit devant le miroir. Elle est en état de choc. C’est la première fois que je la vois si fragile. Je tente de capter son regard. Peine perdue. Mais comme toujours avec ma Sarah, son apathie ne dure pas. Elle sort lentement de sa stupeur et murmure :
"Troisième agression en 36 heures. J’imagine que c’est un record...
Est-ce que ça en vaut la peine ?
MA peine ! "
Je panique, le sol se dérobe de nouveau sous mes pieds. Je la serre à lui faire mal. Je la conjure de ne pas prendre de décision maintenant et que nous allons trouver le coupable dans l’heure. Elle est fatiguée. Elle veut être seule et me demande de l’attendre dehors, le temps de se laver et de se changer. Comme nous n’avions pas prévu de vêtements de rechange, je lui donne ma chemise à zip (oui, celle-là même que je portais le premier soir.) Devant la porte, Michèle Neo m’éloigne de la loge en laissant deux amazones pour garder la loge et nous rejoignons les autres amazones qui tiennent Min-Ji fermement, les bras maintenus dans le dos.
"C’est lui qui a provoqué la cascade de vase. On l’a trouvé en train de se débarrasser de la télécommande. Il a visiblement payé un employé pour installer le dispositif...
Il se redresse, tête haute.
-Oui, c’est moi. Et j’ai aussi aidé à mettre la farce des cafards au point ! Et je recommencerai s’il le faut.
Mon cœur se vide. Une brume d’incompréhension s’installe dans mon esprit.
-Mais pourquoi ?
Min-Ji explose de rage :
-Elle a fichu ta carrière en l’air ! Tu en as conscience ? Mais bon sang, ce n’est qu’une interprète ! Une française, noire, sans importance ! Elle ruine ta réputation et tu la traites de reine !
-Quelle réputation au juste ? Tout le monde sait que je suis un coureur quand je suis libre. C’est cette réputation que tu veux protéger ? Ça fait de moi un mec cool ?
-Tu étais fiancé à Se-Wi ! Elle, je l’ai acceptée. Parce que tu restais avec moi. Tout le monde adorait votre couple ! Et tu la largues pour une interprète noire ?
-Se-Wi et moi, on a déjà eu cette discussion. L’affaire est close. Je l’ai toujours considérée comme ma petite sœur et je n’ai jamais tenté de la séduire. Elle et moi avons démenti cette relation sur les réseaux. Tout le monde croit maintenant que c’était une blague pour faire la promotion du film. En tout cas, c’est comme ça qu’elle a expliqué le malentendu. Mais nos fiançailles, c’était tellement vendeur, hein ? Tu l’as laissé publier ces absurdités.
- Tu étais libre d’avoir des aventures d’une nuit. Autant que tu voulais. Je faisais même le ménage derrière toi, pour qu’elles ne reviennent jamais et surtout qu’elles n’en parlent pas. Ainsi tu étais le parfait gentleman qu’on te payait pour être. Serviable, travailleur, obéissant. Je te lâchais la bride pour que tu puisses te défouler et te détendre. Pour que tu sois le meilleur !
Il se tait un instant, je suis si surpris que je reste sans voix. Il se débat pour échapper à la poigne de Ra-Im.
Elle n’a rien à faire ici ! Depuis que tu l’as rencontrée, tu es distrait, tu travailles mal, tu ne parles plus que d’elle ! Tu délaisses ton entraineur, tu ne suis plus le régime qu’il t’a prescrit ! Tu ne vas plus t’amuser en boîte avec moi, tu me laisses seul ! Et tout ça pour une étrangère ? Une noire ? Même tes fans ne sont pas d’accord ! Si ces pétasses d’amazones m’avaient laissé faire, elle aurait repris l’avion demain et on aurait pu retrouver notre vie d’avant. Elle a pris ma place, mais je ne la laisserai pas faire !
- Ta place ? C’est quoi le délire ? C’est ma compagne, et toi tu es mon manager...
- Si elle m’avait écouté à Bija-Ri, elle n’aurait pas subi tout ça ! C’est sa faute si elle se sent mal ! Je supportais Se-Wi et tes aventures d’une nuit parce que tu restais à moi, mais Elle ? Je la haie.
Mon poing est parti tout seul.
- C’est pour ça que tu l’as agressée trois fois ? Pour que je reste avec toi ?
- C’était pour qu’elle reparte ! Qu’elle sorte de ta vie ! Elle n’aurait jamais dû revenir !
Coïncidence heureuse : un employé passait justement dans le couloir, avec un seau rempli de la vase ramassée sur le plateau. Je l’ai vidé sur la tête de Min-Ji. C’est là que j’ai réalisé l’incongruité de tout ça : il n’y avait pas que Se-Wi qui était amoureuse de moi, Min-Ji aussi ! Et j’ai réalisé que pour les deux, j’aurais dû m’en rendre compte plus tôt. Ils avaient lancé tant de signes, tant de perches! Je me reproche encore ma grande naïveté, qui frôlait l’imbécilité.
L’émission allait reprendre. Gil Ra-Im, l’une des amazones m’a raccompagné tant bien que mal sur le plateau. Elle m’a assuré qu’il valait mieux pour Sarah qu’elle se repose plutôt que d’affronter les caméras. Je me suis rendu à la raison : Maguy-Shi suffisait comme interprète. Finalement, Sarah n’était là qu’en tant que ma béquille. Elle s’était retrouvée mêlée à cette émission pour moi. Elle n’appartenait même pas au monde du cinéma. J’ai culpabilisé car sans moi, cette agression n’aurait pas eu lieu. Je me suis installé sur le sofa, les spectateurs qui avaient pu sortir après l’arrestation de Min-Ji ont repris leur place.
Le silence revient. L’émission reprend. Dans le brouillard des conversations, j’entends revenir très souvent le nom de ma reine noire. Tous les Ekpè2 présents prennent plaisir à faire son éloge. Danseuse, cascadeuse, conteuse, joyeuse, amicale, serviable, ingénieuse. Je comprends qu’ils insistent pour que la chaîne soit obligée de diffuser l’incident, même en différé. De toutes manières, l’évènement a déjà fait le tour du blog, du globe, grâce aux téléphones portables. C’est pourquoi Park Ha-Jun précise que Sarah ne reviendra pas étant données les circonstances, et présente ses excuses au nom de la chaîne pour ce regrettable incident. À ce moment, je vois Se-Wi, très pâle, revenir sur le plateau le plus discrètement possible. Son absence n’a pas été remarquée : les caméras n’ayant pas filmé de son côté. Elle ne va pas aimer quand elle le saura. J’attends avec impatience la fin de l’émission pour rejoindre ma reine.
Quelques minutes avant la fin de l’émission, Sarah arrive sur le plateau, provoquant stupéfaction et horreur. Elle porte ma chemise zip, trop large pour elle, serrée par une ficelle à la taille, ses jambes sont nues. Elle tient un mouchoir sur sa joue droite. Le col et l’épaule de ma chemise sont maculés de sang. Soutenue par Ra-Im, elle marche lentement. elle se tient droite, malgré sa faiblesse. Je me lève précipitamment et me scratche à elle au moment où ses jambes cèdent. J’accompagne sa chute et l’assoie sur le sofa. Plus personne ne parle. Ce que nous voyons est choquant. Trois longues inspirations, elle baisse sa main, découvrant son visage. Les réactions sont variées : allant du hoquet de surprise au cri d’horreur.