Joe Dassin : À nous
2e mouvement de la symphonie du nouveau monde. Pas de son juste la musique.
Dvorjac
"That woman" OST du drama Secret garden.
Chapitre 5
Replay (Pas de ralenti cette fois): Le circuit, après-midi moto.
On a sauté !
"살아 !"Hurle-t-elle. (Rappel: On est vivants, on vit, je vis etc...)
Je crie...
Réception parfaite sur la roue arrière, retour au bercail dans un beau dérapage. Je suis encore collé à ma pilote. Un peu tétanisé.
Sarah enlève son casque dans un grand cri de joie. Elle se tourne vers moi pour un "check". Je tape… lentement… dans sa main.
On m’accompagne à un siège, je retiens Sarah par le bras "Le plaisir est incomplet".
Chang Jun-ha se tourne vers moi et émet plusieurs claquements de langue contre ses dents, en secouant la tête, tout sourire. Nam Ji-Han rit.
Christian-Shi a un regard… bizarre, bien qu’il n’ait pas compris. Je me lève, prends son visage entre mes mains. J’approche mes lèvres des siennes:
"살아 ! "
Je complète le plaisir du saut. Elle me laisse faire… Elle murmure à mon oreille : « Ça aussi c’est PESP... » Les papillons s’envolent et mon cœur s’emballe.
Sur le chemin des vestiaires, pourtant, Sarah m’arrête, se décale pour me regarder. Elle dit… ce que je ne veux pas entendre.
" La récréation est finie! On a eu plus d’une nuit. On s’arrête là. Cut ! "
Cependant, ses yeux restent rivés aux miens. J’y lis la même hésitation que moi. Parce que j’ai déjà mal là, dans ses bras. Alors, qu’est-ce que ce sera quand la semaine sera finie ?
Quand nous arrivons enfin au vestiaire, les autres sont prêts. Ils nous attendent, ils plaisantent sur notre retard… Puis ils remarquent notre regard absent. Ils ne comprennent pas.
"Avec vous, c’est les montagnes russes dites-donc, on a du mal à vous suivre ! C’est quoi ces têtes d’enterrement après votre euphorie? demande Kev Luz.
-La fatigue, sûrement." Répond ma siamoise dans un sourire triste.
Ce soir, c’est grillades de porc, les braséros sont installés sur les tables. Comme tous les soirs, l'ambiance est conviviale au réfectoire. Mais pas pour nous... Soirée morose, pour elle comme pour moi je suppose. Sarah s’est installée à la table de sa sœur avec Ji Sang, (le beau brun ténébreux qu'elle adore... après moi... et qui n'est pas dans notre groupe) , un autre acteur et une actrice avec qui nous passons d'habitude de bons moments. Leur conversation est calme, Elle n’a pas sa gouaille habituelle. Elle n’amuse pas la galerie. Elle ne s’amuse pas. Moi, je suis avec Se-Wi, Christian-Shi, Park Mo Jun (Le compositeur d'un autre groupe, son comparse), jamais bien loin de ma Donsaeng (rappel: petite soeur) ces deux-là.
À ma table, Christian-Shi parle beaucoup en espagnol, c’est donc à mon intention. Les autres ne comprennent pas ses paroles.
"Tu as raison de ne pas continuer. Ce n’est pas une femme pour toi, elle n’est pas équilibrée. Une vraie hystérique" dit-il en posant un morceau de kimchi dans la cuillère de Se-Wi avec un sourire séducteur. Puis, tout en la fixant de ses magnifiques yeux bleus, il me demande en espagnol de traduire ce qu’il dit. C’est très gênant pour moi. C’est ma petite sœur de cœur. Et je n’aime pas cet individu. Mais je suis pétri de politesse coréenne. Je traduis.
"J’ai vu K-Dirty Dancing. J’ai adoré. Vous êtes belle, vous êtes excellente dans ce rôle, et vous êtes une très bonne danseuse. Vous crevez l’écran. (pause traduction)
Ce soir, nous sommes quelques-uns à organiser une petite soirée sur le toit. Juste un peu de musique, des sodas et des amis, c’est tout. Joignez-vous à nous, je voudrais refaire toutes les danses du film avec vous."
Rien ne me semblait dangereux dans ce que je traduisais, mais je ne l’aimais pas… Je m’en méfiais. J’ai donc précisé à Se-Wi qu’elle n’était pas obligée de dire oui. Mais Park Mo-Jun a insisté, demandant lui aussi une danse. Se-Wi a minaudé un peu, s’est fait désirer pour céder dans une attitude faussement timide. Je lui ai recommandé la prudence.
Plus tard, quand j’ai regagné ma chambre bien avant les autres, en fauteuil, Lee Chang-Jun, l'acteur de mon groupe qui partageait ma chambre m’attendait avec Nam Ji-Han, sa compagne secrète qui partageait la chambre de Sarah. Il m’a prévenu qu’il dormirait dans la chambre des filles, vu que Sarah n’y serait pas. J’ai du devenir très pâle car Ji-Han s’est empressée de me rassurer, disant que Sarah avait juste besoin de solitude cette nuit et qu’elle avait promis de ne pas sortir du centre. Chang-Jun a ajouté avec un clin d’œil : "Elle a emmené son maillot et sa serviette dans un sac de sport…" J’ai immédiatement saisi mes affaires de bain et je suis sorti de la chambre.
Lorsque je suis arrivé au bassin, Sarah sortait juste de l’eau, séchant déjà ses cheveux. À peine avais-je franchi la porte que la reine de nuit se précipitait dans mes bras… Je l’ai serrée si fort qu’elle a dû s’assoir sur mes genoux. J’ai dirigé le fauteuil contre le mur et nous nous sommes levés. Je me suis appuyé dos au mur, "Aucune femme ne m’a jamais acculé contre un mur. Mais de toi, c’est PESP ! Tu peux me serrer autant que tu veux, je ne me sentirai pas menacé. Je ne m’enfuirai pas."
Le froid qui avait investi mon cœur toute la soirée a disparu. Il n’y restait plus que Sarah N’Gué. J’ai enfoui ma tête dans son cou, soulagé, heureux.
C’est Sarah qui a parlé en premier.
"J’ai fait une erreur. Il nous reste si peu de temps pour être ensemble. Vivons juste le présent. Je souffrirai plus tard. "
Je l’ai juste serrée plus fort.
Au bout d’un long moment, elle s’est dégagée, m’a remis dans le fauteuil pour m’amener devant la piscine. Nous nous sommes assis au bord du bassin, les pieds dans l’eau, juste heureux d’être ensemble. J’ose lui parler de mes espoirs, d’avenir.
"Pourquoi est-ce qu’on devrait arrêter de se voir ?
Long silence.
-Je ne veux pas vivre dans l’ombre d’une vedette, à me cacher pour ne pas gêner sa carrière. Je ne suis pas le centre du monde, mais je ne suis pas une criminelle. Je ne mérite pas de vivre ça.
-S’il te plait, je te demande juste un an de discrétion, pas de secret. Vivons notre histoire à l’écart des journalistes, pas de nos familles. Ça me semble possible, non? Se voir en Corée ou en France, selon nos agendas. Il y aura fatalement des périodes où on sera séparés, mais ça vaut la peine non ? Et dans un an, mon contrat avec JC Entertainment prendra fin. J'aurai plus de liberté de mouvement."
Elle a posé sa tête sur mon épaule et s’est serrée plus fort contre moi.
"Ça semble si simple ! C’est tellement tentant."
J’ai posé un baiser sur ses cheveux, tellement apaisé. Nous sommes restés longtemps ainsi. Chacun dans ses pensées.
Enfin, j’ai pris sa joue pour qu’elle me regarde en m’écartant un peu et j’ai posé un baiser timide, doux sur sa jolie bouche. On recule nos têtes pour se regarder, puis nos lèvres se rencontrent de nouveau, plus pressées, plus avides. Côte à côte au bord de l’eau, à force de se serrer fort, notre équilibre devient précaire. Nous commençons à basculer vers l’eau. Sarah fait des efforts désespérés pour nous rétablir alors que je laisse aller… Nous glissons. Je suis saisi par la fraicheur de l’eau qui s’infiltre dans mes vêtements. Je pousse de petits cris de froid et non d’effroi. Elle rit ! Je la serre dans mes bras, tellement heureux. Heureusement, l’eau n’arrive qu’à notre taille, je n’ai pas besoin de nager avec ma patte folle. Nous restons ainsi plusieurs minutes me semble-t-il.
Silence
"Ce n’était pas ce que nous avions convenu au début, d’accord. Mais... Est-ce que je peux te considérer maintenant comme ma petite amie ? Tu ne fuiras plus ?"
Elle a émis un petit bruit de gorge pour marquer son assentiment.
Quand j'ai commencé à claquer des dents, nous sommes sortis de l’eau. Tout à coup, elle m’a lâché pour me regarder de pied en cap, en tournant autour de moi. Elle a émis un long sifflement d’admiration : mon T-shirt blanc était trempé, ainsi que mon jean noir, et ils me collaient à la peau. Elle me mangeait des yeux.
"My boyfriend is so sexyyyy ! " a-t-elle déclaré admirative.
J’étais gêné, émoustillé et flatté.
Et heureux : j’étais son boyfriend.
Elle m’a aidé à me sécher, à me débarrasser de mes vêtements trempés…
Quelques caresses tendres tout au plus. Puis j’ai enfilé mon maillot, seul vêtement sec qui me restait. J’ai aidé ma petite amie à se rhabiller.
Ma petite amie !
Fatigués par toutes les émotions de la journée, nous nous sommes allongés sur l’épais tapis-radeau que nous avons tiré contre la baie vitrée. Nous nous sommes pelotonnés dans les serviettes, serrés l’un contre l’autre.
Silence, clapotis de l’eau.
Je caresse le dos de ma belle noire, lacéré de cicatrices longues et profondes.
Et je me rappelle son histoire.
Fondu enchainé.
Flash bac sur la soirée de bal, lors du jeu de la vérité.
Confession de Sarah.
Fondu enchaîné sur le village de son enfance, au Burkina Faso.
Elle, huit ans, joue avec les enfants en gardant son petit frère de trois ans. Sa grande sœur est avec les femmes du village à écraser du manioc dans les grands pilons. Les hommes préparent le feu, tuent la chèvre. Aujourd’hui c’est jour de fête. Un convoi de quatre camions arrive, des hommes en treillis en sortent, certains mitraillettes en main, d’autres armés de machettes. Coups de feu en l’air pour effrayer. Les enfants courent vers leurs mères, les hommes ne savent que faire. Tous et toutes tentent de s’enfuir. Ils sont ramenés au centre du village. Les hommes qui n’ont pas été tués dans la course sont alignés devant une case, agenouillés, traités de chiens infidèles et égorgés sous les yeux des femmes et des enfants. Les vieillards, hommes et femmes, sont tués d’une balle dans la tête. Les femmes sont emmenées dans les cases et violées avant d’être égorgées pour les plus vieilles.
Les jeunes filles ne sont pas touchées, elles sont liées et enfermées dans un des camions : une vierge, ça se vend plus cher au marché de la prostitution.
Les jeunes enfants sont emmenés dans un autre camion. Ils seront vendus à de riches parents venus adopter de pauvres petits africains.
Les autres, comme Sarah, seront enrôlés dans l’armée, de l’autre côté de la frontière. Au Mali.
L’armée… Tout le monde sait, à part ces voleurs qui se persuadent agir au nom de leur dieu, qu’ils ne sont pas une armée mais une bande de criminels mercenaires sans foi ni loi.
Le temps de son initiation, Sarah ne verra pas sa grande sœur. Plus tôt, elle a vu son petit frère monter dans le camion des très jeunes, celui qui va à la ville. Elle ne le reverra plus jamais.
Le premier jour, pour juger du potentiel des recrues, on leur met un couteau dans les mains, on les contraint à des duels, les hommes boivent et rient en voyant les enfants s’entre-tuer. Les vaincus seront vendus pour le travail, les vainqueurs formés à tuer. C’est la première fois que Sarah fait couler le sang, voit couler son sang. La rage et la volonté de vivre lui donnent la folie nécessaire pour gagner son premier combat.
Ensuite, elle apprend les techniques du corps à corps, du combat au couteau, et surtout, comme on a remarqué ses aptitudes, on la forme à être snipeuse. Au bout de trois mois, la petite fille est enfin considérée comme un soldat. Elle a le droit de sortir de son enclos et de déambuler librement dans le camp.
C’est là qu’elle revoit sa sœur… Enceinte. Le chef du camp l’a prise sous son aile. Elle est devenue son objet, ce qui lui assure une sécurité toute relative. Le bébé à naître sera de toutes manières vendu, le chef n’ayant aucune fibre paternelle.
Maintenant qu’elle est soldat, on l’emmène dans les razzias de villages, de l’autre côté de la frontière, et dans les attaques de convois humanitaires. Au début, elle ne fait que regarder, réceptionner les enfants dans le camion. Il ne faut pas plus d’un mois pour qu’on lui ordonne de tirer sur les rares soldats qui protègent les convois humanitaires vers le dispensaire du côté Burkina. Trois fois elle refuse et rate intentionnellement ses cibles. À chaque refus elle est fouettée. La quatrième fois, comme elle refuse encore de toucher les cibles, c’est sa sœur qu’on fouette pour la persuader. On la menace d’encore frapper la jeune femme si elle rate de nouveau ses cibles. Alors, à neuf ans, Sarah tue son premier homme.
J’ai du mal à m’endormir : j’imagine le visage de cette enfant qui s’écarte du viseur, en larmes. J’imagine encore les coups de fouets sur ce dos meurtri. Sarah s’est endormie paisiblement. Comment fait-elle pour vivre avec ces blessures sans tomber dans la folie ou la dépression ? Moi je m’endors très tard, admirant cette guerrière au grand cœur, ma guerrière, épiant son souffle léger.
Cette fois c’est Lara qui nous tire du sommeil, nous pressant de ranger et de déguerpir car un nouveau groupe va arriver. Nous sommes très en retard ! Sarah m’aide à me rhabiller. Mes vêtements sont encore trempés. C’est une sensation très désagréable. Elle me ramène le plus vite possible à ma chambre en fauteuil pour que je puisse me changer et me raccompagne dans la salle où je dois répéter. Enfin, elle me laisse avec un check" (restons discrets devant les autres…) et va rejoindre le tournage pour une nouvelle scène de combat. Cette fois, son travail durera la journée. Je ne la verrai pas avant le soir.
L’après-midi était cette fois consacrée aux réalisateurs et compositeurs : visite de l’île et de ses décors naturels, de son ambiance sauvage afin de favoriser leur veine créatrice. Au programme, prises de sons, d’images, et répétitions des enchaînements destinés au court métrage face à la mer. Comme j’étais là avec mon handicap, les organisatrices avaient préparé une excursion en quad.
J’ai exigé de prendre le guidon, et pour m’aider dans les freinages du pied droit, Go Doona s’est installée derrière moi. Encore une belle partie de rire. Nous avons pris un rafraichissement dans un bar à Bija-Ri. J’y ai retrouvé d’anciens amis. Tout le monde a été surpris de m’entendre parler le patois de l’île et étonné de savoir que ma famille vivait encore ici. Je n’avais pas de raison de le leur cacher : ce n’était pas comme si je m’étais confié à des journalistes sur mes origines modestes. Min-Ji n’aurait rien à me reprocher.
De retour au centre, il était encore tôt et nous avons décidé d’aller rendre une petite visite à Sarah dans la salle verte où elle jouait les scènes de voltige au câble… Avec Kang Jea-Wuk qui faisait lui-même ses cascades. Encore une fois, je ne savais pas vraiment la source de ma jalousie envers l’acteur : parce que lui pouvait faire des cascades, ou parce qu’il tournait avec ma copine ?
Visiblement, ma petite amie (c’était excitant de le penser) avait déjà tourné la scène de poursuite sur les toits et la bataille au bâton. Il ne lui restait plus ce jour-là que la bataille aérienne au sabre avec l’acteur. À notre arrivée, la maquilleuse venait de retoucher le fond de teint de Sarah et on ajustait le câble à son costume. Sa transformation était saisissante : dans sa tenue fuchsia de la période Silla, sous sa perruque de longs cheveux en demi-queue de cheval et maquillée de fond de teint, elle était méconnaissable. C’était une véritable coréenne à la peau d’albâtre qui nous faisait face… Une grande coréenne…
Elle avait travaillé cette scène sans moi. Un combat au câble, au sabre, avec des passes rapides, des courses, des vols, attaques, défenses et ripostes. Les adversaires devaient prendre leur envol de part et d’autre de la salle et s’affronter au centre, avec force pirouettes, cercles, demi-tours. C’était intense et beau à voir. L’acteur, puis le réalisateur, ont fait reprendre la scène cinq fois ! Ils étaient vraiment exigeant et méticuleux Je les aurais frappé tiens !
Et la fin de la scène commençait à me porter sur les nerfs : les adversaires se retrouvaient enlacés dans les airs, descendaient en tourbillonnant et posaient le pied au sol dans un baiser passionné. Quand bien-même factice, au bout de cinq fois, j’étais irrité.
Christian, fidèle à lui-même, a fait une réflexion moqueuse en espagnol :
"Elle semble prendre plaisir à embrasser l’acteur. Elle a toujours aimé ça.
-Ce n’est pas ta Sarah qu’il embrasse: c’est un personnage. " A contré Céline Vigne, en espagnol, puis en anglais.
Mais tout de même ! J’étais jaloux.
Quand la séance a pris fin, la reine n… blanche est rentrée dans l’une des loges adjacentes pour se démaquiller et se changer. Avec l’équipe, nous en avons profité pour regarder la suite du tournage, c’était intéressant. Pendant la pause, tout le monde sur le plateau était satisfait et j’entendais que MA Sarah venait de se faire un nom dans le monde de la cascade coréenne. Je me suis alors dirigé vers les loges pour le lui annoncer. La porte de Sarah était entrouverte.
Christian Dupape était dans la pièce avec elle. L’espagnol devait être la langue d’origine de l’acteur car ils l’utilisaient pour parler.
"… toi-même au dîner d’ouverture : jamais deux nuits avec le même.
-Lâche-moi. (feulement menaçant)
-Seug-Chul a eu sa nuit, maintenant, tu es libre de m’accorder la mienne.
-Tu as eu droit à bien plus qu’une nuit.
-Oui, mais je n’ai pas encore goûté au PESP… Allez ! On était bien ensemble, non ?
Bruits de lutte.
Sarah élève la voix. Je m’approche pour regarder, prêt à intervenir.
-Ensemble ? Mais on n’a jamais été ensemble ! Tu n’as jamais voulu que tes amis le sachent ! Tu avais honte de moi ! Tu venais de temps en temps tirer ton coup et basta. Quand je ne donnais pas de nouvelles pendant un moment, tu me téléphonais pour être sûr que je ne t’oublie pas ! C’était de la torture ! C’était vicieux ! Oh oui, je me souviens très bien !
Coup de poing dans le plexus. Il se plie en deux, le souffle coupé.
Tu oses dire qu’on était bien ensemble ? Tu as tué notre enfant ! C’est pour ça que j’ai inventé le PESP !
-Je…ne…l’ai pas …tué. C’est toi… qui t’es… fait… avorter. Martèle Christian en cherchant son souffle.
Cri de Sarah.
-C’est toi qui m’y as obligée ! Tu n'en voulais pas!
Et tu ne m’as même pas accompagnée à l’hôpital !
Je n’ai eu droit à aucun soutien de ta part !
-Tu m’avais insulté la veille au téléphone. Tu as la mémoire courte.
Nouveau cri de rage.
-C’est pour ça que tu m’as laissée affronter la mort de cet enfant toute seule ? C’est pour ça que je me suis retrouvée seule attachée à la table d’opération ?
Les bras en croix, jambes écartées dans les étriers ?
Attachée !
Impuissante !
À la merci d’un chirurgien qui n’a pas daigné regarder mon visage !
Hurlement :
J’étais seule !
Dans la salle de réveil, j’étais seule !
Quand il a fallu régler les papiers à la sortie, j’étais seule !
Au retour, dans la voiture, j’étais seule!
Deux heures seulement après mon réveil, j’ai conduit pendant une demi-heure, parce que je devais récupérer mon fils au collège.
Tu m’as laissée affronter la mort de l’être que je portais seule parce que je t’avais mis en colère ?
Sa voix s’étrangle de rage.
Hombre de mierda !
Et tu voudrais que je couche avec toi ?
C’est quoi ta maladie ?
Cabron !"
Deux coups de poing dans la figure cette fois. Le miroir se brise quand la tête du sale brun rebondit dessus. Enfin, ma guerrière lui assène un coup de genou dans les parties.
C’est à ce moment qu’Ae-Jin, la réalisatrice de notre groupe et Fanny Forest m’ont rejoint. Entrevoyant la dispute à l’intérieur, elles m’ont demandé ce qui se passait.
"C’est ma petite amie ! " Ai-je déclaré fièrement, sourire jusqu’aux oreilles.
Elle est sortie en claquant la porte, nous a bousculés sans même nous voir. Dans sa colère, elle ne m’a même pas entendu l’appeler.
Le soir, au réfectoire, nous n’étions pas à la même table: je me sentais coupable de délaisser Se-Wi, alors, je me suis installé à côté d’elle… En face de Christian. Je n’ai pu m’empêcher de sourire en traduisant, quand ma donsaeng lui a demandé d’où lui venaient son œil au beurre noir et sa lèvre fendue. Il a répondu avec humour avoir eu une altercation avec un mannequin de combat17. Après avoir traduit, je lui ai demandé en espagnol si le mannequin était noir pour avoir déteint sur son œil. Ma remarque ne lui a pas plu. Moi, je riais beaucoup, et j’ai répété ma blague en coréen pour Se-Wi, Ahn Ae-Jin a éclaté de rire.
J’ai repris mon sérieux et menacé le brun au beurre noir dans sa langue favorite, pour n’être compris que de lui :
"Ne t’approche plus jamais de Sarah. Et ne tourne plus autour de ma petite sœur ou tu te retrouveras à l’hôpital.
-Il me semble bien que ce n’est pas ta petite sœur mais ta fiancée non ?
-Ne dis pas n’importe quoi, et ne touche pas un seul de ses cheveux. Je pense que j’ai eu l’air assez menaçant puisqu’il a arrêté de plaisanter.
Après la projection de Dramas du soir, Lee Chang Jun, mon camarade de chambrée et moi avons prétexté une grande fatigue et sommes partis ensemble. Les filles ont fait de même et dans le couloir menant aux chambres, Sarah a pris la place de Chang Jun derrière mon fauteuil. Et nos deux couples se sont séparés.
Devant la porte, je prends appui sur mes accoudoirs pour me lever, puis sur ses épaules pour avancer en l’embrassant déjà. Elle ouvre la porte derrière elle, recule, je referme, toujours collé à ses jolies lèvres. Nous laissons le fauteuil dans le couloir.
Je m’appuie à la porte pour la couvrir de baisers, je défais sa veste de survêtement, l’aide à l’enlever. Elle m’aide à faire de même. Nos t-shirts s’envolent de la même manière, puis c’est au tour de nos pantalons. Elle m’aide à ôter le mien en riant, s’éloigne malicieusement en déclarant que
"c’est une nuit PESP. Dis aux papillons qui s’agitent dans ton ventre d'attendre pour descendre plus bas comme ça. "
Elle ôte les couettes des lits et nous installe une couche au sol. Elle revient vers moi, regard joueur et intense. Nu contre la porte, je la tiens par les épaules à une distance respectueuse. Je m’appuie sur elle pour la faire reculer et l’asseoir. À genoux contre elle, je parcoure doucement ses cicatrices avec mes lèvres. Elle sursaute, fait volte-face, m’enlace, m’embrasse, m’entraîne sur la couette.
Douces caresses, baisers, volupté.
À genoux, penché sur elle, je croise mes doigts aux siens pour promener mes lèvres sur son corps. Elle me repousse, se redresse avec un regard étrange. J’y lis une fugace terreur, puis une intense colère. Un hoquet, un cri muet, des paroles étranglées :
"N’immobilise plus jamais mes mains ! Ne t’allonge jamais sur moi ! Ne me coince pas contre une paroi et ne te colle pas nu dans mon dos... Et tout ira bien..."
Je comprends l’origine de cette souffrance. Je prends délicatement sa main, la porte à mes lèvres, infiniment doucement. Je la regarde juste tendrement, je contiens ma faim. J’approche lentement mon autre main de son visage. Elle accepte cette caresse, ferme les yeux, inspire profondément, puis dans une longue expiration ses lèvres vont chercher ma main, sa main libre saisit ma nuque et m’attire vers elle.
La crise est passée.
Je l’entends murmurer : " Cette nuit est à nous. Elle est à moi. "
Nous nous aimons selon ses conditions. Et c’est magique.
Au moment où ma reine commence à se cambrer, le souffle court, où un gémissement muet passe ses lèvres, je chuchote à son oreille : "Si tu cries, je te présente à mes parents. Demain. "
Je sais : c’est
"sournois ! "
Me dit-elle dans un râle.
Mais voilà, j’en suis là. Déjà ! Je veux partager mon bonheur avec ma famille. Je veux qu’ils l’aiment. Comment pourrait-elle refuser, tout à son plaisir ?
Oui, délicieusement sournois.
Je ne raconterai pas nos ébats plus que ça. C’est même déjà trop. Je dirai pourtant qu’elle a beaucoup résisté mais elle a fini par le pousser ce cri que j’attendais, presqu’un hurlement rauque de louve. Le deuxième cri, plus grave, plus fort, était le mien.
Un temps d’hébétude, ou plutôt de béatitude. Nous nous regardons, essoufflés et repus. Je m’effondre à côté d’elle. Nous ne disons rien, nous ne bougons pas, tout à nos sensations. Chacun a conscience du cadeau qu’il vient de recevoir.
Nous nous sommes endormis bercés par nos caresses.
Le repos n’a pas duré longtemps : nous nous sommes réveillés pour recommencer, émerveillés.
C’était notre nuit.
Et j’allais la présenter à mes parents ! Celle que je n’attendais même pas en rêve mais qui comblait maintenant ma vie. Dans mon village, chez moi ! Le sixième jour de notre rencontre ! Merci la vie !
La nuit fut assez courte : le ciel était encore bien sombre lorsque Chang-Jun a gratté à la porte. Réveil en sursaut. Dernier baiser rapide, Sarah se lève, me lance mes affaires. Nous nous rhabillons en silence, en souriant. Avec cette curieuse sensation des nuits trop courtes : paupières lourdes et brûlantes, le corps engourdi, l’épiderme trop sensible… Nous plions la couette, nous nous coiffons mutuellement avec les doigts, je m’installe sur mon lit. Ma copine sort et discute un peu avec mon camarade de chambrée. Ton sérieux des deux, juron coréen de Sarah. Pas de course légère qui s’éloignent. Chang-Jun entre, le visage grave. À ma question, il répond que c’est juste un problème qui demande une traductrice d’urgence, que nous en saurons plus au matin.
Je sombre à nouveau dans le sommeil.
Un rayon de soleil vient taquiner mon nez. J’ouvre les yeux. Chang-Jun est déjà debout. Il se prépare à aller courir autour du centre avec Nam Ji-Han. Je lui demande de m’attendre. Je me rafraichis un peu, le temps qu’il amène mon fauteuil. Les filles nous attendent déjà à l’entrée de leur chambre. Encore cette curieuse télépathie : elle savait que j’accompagnerais Chang-Jun. Mon cœur s’échauffe : sans concertation, la même envie, au même moment, comme une évidence.
Cependant, les visages sont graves. Il pèse une drôle d’ambiance entre ces trois-là. Quelque chose s’est passé dont je ne sais rien.
Traversée des couloirs en silence. Sarah et moi sommes de nouveau siamois. Sarah propose à voix basse à nos compagnons de ne pas nous attendre puisque nous sommes lents et que nous ne courrons pas.
Elle et moi nous retrouvons enfin dehors, l’air est frais, le soleil matinal illumine le paysage. C’est beau, vivifiant. C’est bon. Nous continuons mon entraînement à la marche, nous tenant par la taille. Son silence m’inquiète. Elle répond à ma question informulée:
"Cette nuit, une coréenne qui ne sait pas parler anglais a eu besoin d’une traductrice. Chang-Jun est venu me chercher mais il n'est pas resté parce que cette situation ne le concernait pas, c’était une histoire de femmes. L’actrice nous a demandé de ne rien dire à personne. Donc, je ne dirai rien.
Pas même à toi.
Cette histoire lui appartient de toutes façons. "
Je sens du désarroi et de la colère dans sa réponse. Je sais de qui elle parle. Je m’assurerai que ma petite sœur va bien. Sarah respire fort mais ce n’est pas la fatigue qui parle. Alors, je l’arrête pour la serrer fort. Elle se réfugie dans mon étreinte, elle pleure en silence.
"Je hais les hommes ! Il y en a que je voudrais voir crever ! "
Cet excès me fait peur. Où me situe-t-elle dans ce discours ?
Je l’éloigne de moi pour regarder son visage crispé, où coulent des larmes amères.
"Veux-tu que je te laisse tranquille ? J’ai l’impression que ma présence attise ta colère. "
Elle enfonce son visage dans ma veste, s’agrippe à moi de toutes ses forces.
-"Non ! Reste ! J’ai besoin de toi pour ne pas haïr tous les hommes !
Aide-moi !
J’ai besoin de m’accrocher à toi, à Sacha, aux quelques autres hommes humains que je connais.
Sans toi, je vais devenir une femme inhumaine. "
J’ai une idée de plus en plus précise de ce qui s’est passé cette nuit, même sans connaître tous les détails. J’ai peur pour ma sœur de cœur.
Pour l’instant, je n’ai rien à dire à ma compagne.
Les mots peuvent être des poignards.
Rien ne peut atténuer la douleur qu’elle éprouve.
Alors, je la serre fort, je la berce, je caresse ses beaux cheveux, je pose un baiser sur son front.
Et j’attends.
Moi aussi je hais les hommes. À cette heure, j’ai honte, tellement honte. Et je m’inquiète pour Se-Wi. Que s’est-il passé ?
Retour au réfectoire un peu plus tard, pour le petit déjeuner.
Quand Christian arrive à notre table, Se-Wi a un mouvement de recul. En s’asseyant, il lui a adressé un clin d’œil. L’ambiance est tendue. Christian est en face de nous, Se-Wi calée entre Chang-Jun et moi. Personne ne parle, chacun a le nez dans son bol. Seul Christian arbore un léger sourire. Qui sonne faux je dois dire : son œil droit a pris une belle teinte noire, sa paupière est enflée et sa lèvre inférieure est fendue.
Les mains de Sarah pâlissent sous la table, tremblantes, les poings fermés. Nam Ji-Han, au côté de Chang Jun, pose une main dissuasive sur son bras quand il veut se lever. Et là, contre toute attente, Christian se met à parler anglais. Il propose des tartines à Se-Wi, lui adresse des mots doux en anglais, lui demande ce qu’elle va faire dans la journée…
Il savait parler anglais !
Se-Wi ne comprend pas ce qu’il dit, mais elle a conscience de l’affront qu’il lui fait. Elle semble prête à pleurer, elle ne lève pas la tête de son bol, ose à peine bouger. J’ai enfin le film de la nuit en tête, avec les noms des acteurs !
Et la remarque déplacée, choquante, pour tous :
"Si tu avais appris l’anglais, ç’aurait été plus simple cette nuit, non ? "
Sait-il seulement que nous sommes tous au courant pour cette nuit ? Toujours est-il que Céline, la camarade de chambrée de Se-Wi se lève outrée, en même temps que Sarah qui saute par-dessus la table…
(env. 58mn)
17= accessoire d’entraînement de kung fu qui ressemble à un porte manteau en bois sur pied.