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Épisode 14A
J’étais si fier en rangeant mon aile. Et j’étais heureux d’avoir vécu ce vol vertigineux avec mes deux acolytes. Mais l’euphorie est vite passée. Restait la concentration. Je restais alerte et scrutais l’orée du bois régulièrement en attente du signal. Nous n’y voyions pas grand-chose sous ce petit croissant de lune, mais garder nos lunettes à infrarouge aurait réduit notre champ de vision durant le rangement. Une fois le paquetage sur le dos, nous les avons remises pour ne pas rater le signal infrarouge de notre contact. C’est Sarah qui a repéré la lumière en premier, elle nous a fait signe d’avancer devant elle.
"C’est pas le bon code ! " A-t-elle murmuré au passage de Sacha.
Inquiet, j'ai demandé: "On y va quand-même?
-Faut bien!" A-t-elle répondu, fataliste. Nous avons entamé notre marche furtive, dos voûté, presque sur la pointe des pieds, le costume enroulé sur un bras pour éviter de l’accrocher à la végétation. Sarah était la plus discrète de nous trois. Je n’entendais vraiment rien de plus que le chant des grillons derrière moi.
"Notre Sarah est maître dans l’art de la furtivité ! On ne l’entend pas. Ai-je murmuré à Sacha.
- Normal, elle n’est pas là.
J’ai été pris de panique en regardant derrière moi et constatant qu’en effet, elle avait disparu.
-Elle est où ?
-T’inquiète ! Elle nous rejoint plus tard.
-Tu es sûr ?"
En guise de réponse, Sacha a posé sa main sur ma bouche et m’a fait signe avec son index de me taire. Au bout de quelques mètres, nous nous sommes arrêtés devant un chêne majestueux. Est-ce sa ressemblance avec le chêne que mon père m’avait présenté sur l’île, ou les deux soldats russes qui nous attendaient devant, qui m’a le plus surpris. Le plus grand des deux, qui était devant, avait les bras levés. Pas besoin d’explications, nous étions tombés dans un piège.
Le plus petit, celui qui tenait l’arme, s’est mis à parler en russe. Je n’ai pas compris, mais sa voix était aussi moqueuse que menaçante.
D’après le ton de sa réponse, Sacha semblait le connaître, ou le reconnaître. Il a répondu en anglais, afin que je puisse comprendre.
"Sakura, je te présente le mercenaire Sergueï, du groupe Wagner ! Nom de code : Dahlia, le chien-chien de Lotus, leur chef psychopathe.
Le mercenaire en question est parti d'un rire inquiétant.
- Je reconnais cette voix! (en anglais) Quel bordel! Incroyable! Alors c'est pas ton corps qu'ils ont retrouvé il y a six ans!
Les traîtres sont ceux qui anéantissent notre pays et notre peuple, comme vous! J’aime profondément ma patrie. Toi, tu n’es qu’un bandit assoiffé de sang, de chaos et d’argent. Voilà ce que vous êtes, toi et ton groupe Wagner ! Des pseudos de fleurs pour des tueurs! Vous ne manquez pas d’humour. Et ce surnom: Lotus! Si bien choisi! Le lotus est une plante qui pousse dans le lisier.
Le russe a répondu en anglais.
- Tu as même oublié ta langue maternelle! Pour un patriote c'est pathétique. Et j'imagine que c'est par amour pour ta patrie que tu as déserté? Saloperie de traître! Tu t'es servi de notre amitié pour trahir ton pays! Tu t'es servi de moi! Tu aurais du mourir il y a six ans! Maintenant tu vas payer.
- Notre amitié? Comment aurais-je pu être ami avec un psychopathe qui se délectait de la peur de nos prisonniers? Mais c'était si facile de t'y faire croire. Tu étais tellement fier de me donner des détails sur vos anciennes et futures razzias, sur vos soirées avec ton commandant Lotus! Tous ces détails écœurants! J’ai juste évité la déportation à quelques enfants ukrainiens en exploitant ta vanité.
- Mais cette fois, c’est toi qui perds ! Cette nuit, tu vas rejoindre ton ami Malovitch. Je sais que c’est vous qui avez orchestré la fuite des orphelins d’Izium il y a trois ans.
- Bonne nouvelle alors ! Mav m’attend en France.
- Tu mens encore! Il est mort à Izium ! Il a sauté au-dessus du Donets. Je l’ai vu s’écraser sur un rocher et tomber dans la rivière! Il n’est pas remonté.
-Tu te trompes. Il ne marchera plus jamais, mais il est vivant."
J’étais immobile pendant cet échange, rassemblant quelques pièces du puzzle de la vie du Tsar. Sur ses dernières paroles, le grand soldat a légèrement relâché ses bras et a pris la parole en français, langue que le mercenaire ne pratiquait visiblement pas.
"Dieu soit loué ! Malovitch est vivant ! Et, levant la voix : Bon, tu passes à l’action au lieu d’écouter la conversation, grand couillon ? J’en ai marre de lever les bras !
Je ne voyais pas à qui il s’adressait car ni Sacha ni moi n’étions en mesure de faire un geste. C’est quand le petit s’est retrouvé avec un couteau sur la gorge et a levé lentement les bras à son tour que j’ai compris. Ma reine noire s’était glissée derrière lui sans le moindre bruit et le tenait à sa merci.
- C’est à moi que tu causes, grand dadet ? A-t-elle demandé en français.
- Putain Shogun! Tu en as mis du temps! Je ne savais plus quoi dire! S’est exclamé Sacha en saisissant le mercenaire et lui liant les mains dans le dos avec de l’adhésif d’emballage marron sorti de son blouson. Et avant que quiconque puisse ajouter quoi que ce soit, Sarah assommait Dahlia avec le manche de son couteau de chasse.
Le grand soldat a récupéré le rouleau que lui tendait Sacha pour bâillonner le mercenaire tout en parlant.
- Alors comme ça le grand couillon s'appelle Shogun? Et Shogun est une femme ?
- Salut Gamin, ça fait un bail ! Heureux de te revoir vivant. A déclaré Sacha en prenant le grand homme dans ses bras. Puis, s’écartant, il a ajouté en montrant Sarah.
- Dimitri, je te présente Shogun, ma femme...
- MA femme ! Ai-je rectifié avec aigreur.
- Pardon, ma veuve... Et voici son compagnon: Sakura. A-t-il ajouté dans un sourire.
- Crétin!” Ça m’est venu tout seul! J’avais horreur de ce surnom. Dimitri semblait perdu.
- Ta veuve, sa femme? Comprends rien!
Plus sérieusement, Sacha a demandé en attachant le mercenaire au grand chêne:
"On t'expliquera. Mais pourquoi es-tu là à la place d’Irina? C’est elle qui devait nous accueillir d’après les renseignements de Malovitch!
- Alors c’est avec lui qu’elle communiquait?
- Avec qui d'autre? C’était leur code secret, souviens-toi : c’est eux qui l’ont inventé. À notre arrivée en France, Mav est devenu agent de renseignement dans la légion étrangère. Il n’y a que lui qui pouvait communiquer avec Irina. Ils se passaient des infos en langage codé sur les réseaux sociaux russes!
- Des vrais génies ces deux-là! Mais elle aurait mieux fait de fuir avec vous!
- Bah, elle voulait rester avec Yvan, son chéri. J'aurais peut-être fait le même choix...
- Tu parles! C’est son « chéri » qui l’a dénoncée. Il l’a surprise dans le bureau du commandant en train de copier les ordres de livraison de « viande ». C’est comme ça maintenant qu’ils appellent les prisonniers ukrainiens. Elle le savait pourtant que c'était un putain d'opportuniste. Et lâche par dessus le marché."
Dans un accès de rage, Sacha a donné un puissant coup de poing dans le chêne. Il n’a même pas remarqué le saignement de ses phalanges.
"Ce petit salaud ! Je lui avais bien dit que c’était une pourriture. Et c’est pour lui qu’elle est restée! Où est-elle maintenant ?
- Dans ce qui sert de prison : le sous-sol de l’ancien entrepôt de produits chimiques. Les autres cachots sont vides : Lotus est arrivé ce matin avec la section de propagande des Wagner. Ils attendent un arrivage de jeunes ukrainiens à envoyer dans un centre de conditionnement. Ce sera pour demain. Ce soir, notre commandant a préparé une petite fête en l'honneur de Lotus. Ils s’amusent dans la piscine de la villa Gorbatchev.
Sacha : Et toi, tu t’es fait pincer par ce...
Dimitri : Ils ont dû réussir à faire parler Irina. Dahlia m’attendait déjà ici.
Sarah : En tout cas, bravo pour le changement de code lumineux. On a pu anticiper.
Moi : On voit les professionnels. Je me serais fait piéger sans vous.
Sacha : Bon, mais du coup, où est le frère d’Éléna? Celui pour qui on est là?
Dimitri : Qui ça? Irina n'a pas pu me faire parvenir tous les détails de votre opération. Elle m'a juste dit de vous accueillir ici.
Sarah : Un jeune roux aux yeux verts. Tu as dû le voir non?
Le visage du soldat s’est figé. Ses yeux exprimaient une grande tristesse.
- Il est à la piscine avec les autres prisonniers. Nous ne pouvons plus rien faire. Les gradés s’amusent avec eux. Ils vont mourir cette nuit.
Ce n’était pas prévu. La section Wagner ne devait arriver que demain.
Mais ils ont envoyé une équipe plus tôt en apprenant notre « trahison ».
Cette fois c’est Sarah qui a agressé le chêne.
- C’est pas vrai ! On n'est quand-même pas venu pour rien! On fait quoi? On repart sans personne? On ne sauve qu’Irina? Ou bien Davyd?
Nous étions tous les trois agités, tournant en rond, regardant le ciel et les alentours, devant le grand Dimitri qui, lui, semblait abattu. Mais ça n'a pas duré longtemps: c’est moi qui ai rompu le silence.
- On fait deux équipes et on sauve Irina, Davyd, et les autres!
Dimitri : Et on fait comment? On n'est que quatre?
Sacha : Ok ! Sarah et moi à la villa Gorbatchev et...
Je l’ai vite interrompu car il était hors de question qu’il soit seul avec Sarah, même dans ces conditions.
- Tu nous vois communiquer en mauvais français Dimitri et moi ? C’est un coup à se faire tuer! Sarah et moi on s’occupe d’Irina. Vous deux, vous parlez russe, ce qui facilitera votre tâche à la piscine.
Sacha (sourire en coin): Tu lâches rien, toi, hein! Ok, on fait comme ça.
Dimitri : C’est complètement impossible! Vous êtes cinglés.
Sarah : Possible. Mais on ne rentrera pas sans les avoir tous sauvés."
Je prenais enfin la mesure de ce que nous étions sur le point de faire. Deux soldats, une prof de sports et un acteur pour sauver une dizaine de personnes d’une troupe de soldats psychopathes et armés. Nous allions probablement mourir dans cette mission insensée. J’ai pris la main de Sarah en croisant nos doigts, et je l’ai serrée si fort qu’elle s’est dégagée en étouffant un cri. Elle a approché sa tête, et front contre front, elle m’a chuchoté :
"Moi aussi, je crève de peur. Mais il ne faut penser à rien. Juste à ce qu’on fait au présent. « Be aware* ! » A-t-elle ajouté avec un clin d’œil.
NDA: Allez, ça fait longtemps et mon fan m'a dit regretter les quizz. Alors, d'où vient cette citation?
Sacha s’est à son tour approché. Il a entrouvert son blouson pour prendre... un bâton de dynamite et me le tendre.
- Ne pars pas sans rien, la Star. Tu auras peut-être besoin de ça.
J'étais sidéré. D'où pouvait-il sortir ça? Et quelle idée de jouer les dynamiteros? Cependant, il était hors de question de lui montrer ma surprise.
- Tu es bien équipé dis-donc. Tu en as beaucoup comme ça ?"
Il a ouvert son blouson entièrement pour dévoiler cinq paquets de bâtons scotchés ensemble, répartis dans les poches d’une large ceinture de jean. Sarah s’est postée à côté et a ouvert son blouson à son tour. Elle était harnachée de la même ceinture.
"Cadeau de belle-maman. C’est du sur-mesure. A déclaré fièrement Sacha.
Ce à quoi j’ai rétorqué aussi sec :
EX belle maman ! Elle vous a aussi fourni la dynamite ?
En refermant son blouson, Sarah a répondu simplement, comme si c’était normal :
Ben oui : dans la famille, on est artificières spéléo de mère en fille. On a pensé que ce serait sûrement utile ici.
- Je suis surpris de ne même pas être surpris, finalement.”
Sarah, c’était depuis le début ma wonder-woman, mon héroïne, ma reine. Même encore maintenant, quand je pense à elle, mon cœur s’affole, se gonfle d'admiration et de fierté. Je n’ai pu m’empêcher de caresser sa joue avec dévotion... et amusement.
"C’est évident ! Où avais-je la tête." Ai-je murmuré avec humour.
Mais soudain une pointe de rancœur s’est installée en moi.
"Mais moi, on ne m'a rien dit!
-Tu sais t’en servir?
- J’ai fait l’armée!
- En amateur. a ironisé Sacha. C'était ton service militaire.
- Crétin!
-Tu sais donc t’en servir? m'a demandé Sarah avec plus de sérieux.
-Bon, ok, non! J’ai appris à lancer des grenades moi..." J’ai ouvert mon blouson à mon tour pour dévoiler le même genre de ceinture dont les poches contenaient des grenades. Finalement, je n'étais pas si amateur que ça...
-Moins amusant, mais aussi efficace ! Décidément, je t’aime bien la Star. A admis Blondin.
Avant de nous séparer, Sacha s’est approché de moi, m’a pris la nuque dans ses grandes mains et a posé son front contre le mien.
"Pas d’initiatives, la Star. Suis Sarah, elle a été soldat sur le terrain. Toi, tu étais para, c’est pas la même chose. Je veux vous revoir vivants.
-Pareil pour toi. Je ne veux pas te per... Que Sarah te perde à nouveau... Je ne veux pas."
Pourquoi avoir dit une chose pareille ? Je m’en voulais. J’espérais seulement qu’il n’avait pas remarqué. J’avais l’impression d’avoir fait une déclaration et j'étais gêné. D’ailleurs, ça n’a pas manqué :
- C’est une déclaration d’amour ? A-t-il demandé goguenard en s’éloignant.
Et je n’ai pu répondre que...
-Crétin!"
C’est la seule chose qui m’est venue.
Alors que Sarah et moi les regardions s’enfoncer dans le bois, je l’ai entendue murmurer la litanie contre la peur, celle qu’elle m’avait apprise peu de temps avant, comme une prière.
"Je ne connaîtrai pas la peur. (...) Allez: quizz (trop facile!) D'où vient la citation?
Nous nous sommes mis en marche à la fin du poème, dans la direction opposée aux deux russes. Pour parcourir les neuf-cents mètres qui nous séparaient du parc des véhicules, les arbres au bord de la route nous offraient leur protection, et nous courions arcboutés pour être le moins visibles possibles dans les zones découvertes.
Je trouvais cependant étonnant de ne voir aucune patrouille, aucune lumière de projecteur. Même les lampadaires de l’usine étaient éteints. Tout en poursuivant notre avancée, nous devisions. Sacha était de la conversation puisque nous avions gardé nos oreillettes.
“Décidément, Mav avait raison : ils sont vraiment en sous-effectif !
-Ils sont presque tous sur le front. Ici, il ne reste plus que les Wagner, les hauts gradés et quelques soldats pour assurer leur sécurité. Un convoi de ravitaillement arrive demain matin avec le reste des Wagner et les prisonniers ukrainiens. Il nous faudra être partis. C'est ce qu'a dit Dimitri.” a répondu Sacha.
Nous sommes arrivés à l’hélicoptère qu’on devait utiliser pour repartir, d’après Irina. J’étais atterré : un large trou béait au centre d'une des vitres du cockpit, il n’y avait plus de portes latérales, et l’arrière de la carlingue était criblé d’impacts de balles de mitrailleuse. Je n’ai pu m’empêcher de m’exclamer en jetant un œil à l’intérieur et déposant mon paquetage:
"On est mort !
-Mais non ! T’inquiète : tant qu’il y a les pales, ça vole ! A répondu Sarah d’un ton faussement rassurant. Allez! Maintenant, opération sabotage. Remplis les réservoirs des véhicules avec de la terre...
Remarque que vu leur état, ils n’iraient pas bien loin. "
Cinq minutes plus tard, nous nous dirigeons vers l’entrepôt-prison en courant, sans nous préoccuper d’être surpris puisque le coin semble vraiment désert.
Entrée dans le bâtiment par le portail entrouvert, lumière au raz d’une porte sur la droite. Nous pénétrons furtivement dans une cage d’escalier éclairée. Descente. Une autre porte métallique en bas, derrière laquelle on entend une conversation en russe, puis une porte qui se ferme. Sarah est déjà sur le palier. Sur la dernière marche, ma jambe me fait défaut. Je tombe sur Sarah qui percute la porte dans un bruit sourd.
Murmures.
"P... de jambe! Toujours à me lâcher au mauvais moment !
-Chuuut ! "
Une voix puissante s’élève à l’intérieur. Sans doute "qui va là? " en russe. Sarah se retourne immédiatement, me colle dos à la porte et murmure "diversion!" juste avant de plaquer ses lèvres sur les miennes. Pris par surprise, je ne pense plus. Je la serre contre moi en caressant son dos, dans un baiser passionné. Moment suspendu où j'oublie le danger. Au moment où la porte s’ouvre, le bras gauche de Sarah bondit tel un cobra et elle saisit la trachée de l’homme entre pouce et index. Il n’a même pas le temps d'être étonné. Elle est visiblement convaincante avec ses doigts puissants et calleux de grimpeuse karatéka, car il se pétrifie. Tout à mon désir, je n’avais pas remarqué qu’elle avait récupéré son couteau de chasse fixé à son mollet. Le temps que je me ressaisisse, que je me baisse et passe sous son bras pour lui laisser le champ libre, elle le tenait à sa merci, couteau sur la gorge. Il n’a opposé aucune résistance quand nous l’avons forcé à entrer dans la salle. Ce n'était pas le moment, j'en avais conscience, mais je n'ai pu m'empêcher de demander:
“C'était quoi ça?
- Une diversion... A-t-elle répondu espiègle. Te plains pas, ça a marché.
- Ah ça... Pour lui je ne sais pas, mais pour moi... J'ai du mal à m'en remettre.
- J'aime te faire cet effet-là.” A-t-elle plaisanté avec son demi sourire.
Une fois dans la salle de garde, j’ai eu juste le temps de dégainer mon couteau avant que la poignée de la porte d'en face se tourne. Sarah, vive comme l’éclair, m’a laissé la charge du russe pour se poster contre le mur, juste à côté de la porte.
L’homme qui est entré n’était visiblement pas russe. J’ai tout de suite pensé à un coréen. Corée du nord, bien-sûr. Il portait le brassard argent des Wagner. Il a eu le temps de remarquer en colère, d’un assez mauvais anglais :
"Séquia ! Qu’est-ce qui t’a pris de la bousiller comme ça, ta fiancée? On ne pourra plus rien en tirer ! Et je ne vais pas pouvoir m’amuser avec elle! Je ne joue pas avec des cadav...
Il n’a pas pu en dire plus: Sarah avait passé son bras autour de son cou en une clé imparable et appuyait la lame de son couteau sur la carotide, si fort qu’une tache rouge commençait à apparaître.
Les paroles du Wagner m'ont mis en colère. J’ai approché mon visage pour sussurer à l’oreille de mon otage :
-Tu es Yvan, le fiancé d'Irina?
Très léger hochement de tête. Alors, au souvenir de ce qu’avait dit Dimitri, le grand soldat, j’ai commencé à avancer le tranchant de ma lame sur son cou, en appuyant assez pour faire jaillir un filet de sang. Un cri de Sarah en français :
- Arrête ! Tu n’es pas un tueur !
Alors, revenant à la raison, j’ai suspendu mon geste. C’est vrai. Je n’étais pas un tueur. De toutes manières, je pense après coup que je n’aurais jamais réussi à l’égorger correctement, même si ma reine n’était pas intervenue. Je n’étais pas dans un de mes films. Le rouge n’était pas du ketchup et les morts ne se relevaient pas.
Tuer un humain, ce n'est pas si simple.
Nous avons allongé nos prisonniers sur le ventre pour les attacher et les bâillonner, puis les ayant relevés, nous les avons saucissonnés avec l'adhésif marron qu'elle avait amené, chacun contre un des deux piliers de la grande salle, et nous les avons laissés pour pénétrer dans le couloir. Dans le cachot de droite, nous avons entendu un gémissement, plutôt un râle d’ailleurs. Puis plus rien qu’une respiration sifflante. Sarah est entrée la première dans le cachot, dont la porte n’était même pas fermée. Elle a stoppé net à l’entrée, me bouchant le passage.
“Ma Star, va surveiller les ordures. Débarrasse la table. Nous en aurons besoin. Enlève leur pantalon et fais prendre l’air à leur colibri. Je vais m'amuser un peu. A-t-elle dit d'une voix froide, rauque. Je sentais de la haine dans ces paroles.
- Mais tu vas avoir besoin de moi ici. Pourqu...”
L’ordre a claqué comme un coup de fouet :
“Obéis !”
Privé momentanément de ma voix, j’ai fait ce qu’elle m’ordonnait. Elle ne se serait jamais adressée à moi comme ça sans une bonne raison. En cet instant, l'adrénaline coulait à flot dans notre organisme. Nous étions en mission. Nous avions conscience du danger. Alors... "Maître dit, élève fait! Pas poser question."
Quizz: d'où vient la citation?
Elle est revenue dans la salle portant un long paquet recouvert d’un... chiffon plus qu’une couverture, poisseux de sang, et l’a posé délicatement sur la table. En voyant l'état du corps d'Irina, j’ai compris la violence de la réaction de ma reine. Bouillant de colère, j’ai repris mon couteau et allais véritablement éventrer le russe Yvan quand ma reine a de nouveau donné un ordre, en coréen cette fois.
“Non! Pas toi! Tu devrais vivre avec ça sur la conscience! Je te l'ai dit: tu es un acteur! Pas un tueur! Ne le fais pas.”
Elle avait raison. Pour preuve: ma main tremblait en menaçant le ventre du monstre. Des larmes de rage et de frustration sillonnaient mes joues, laissant des traces livides sur mon maquillage noir. Je devais être terrifiant, vu le regard effaré du russe. J’ai laissé tomber mon bras, fait volte-face et je suis revenu près de Sarah qui tentait de stopper une hémorragie à l’aine de la blessée avec l'adhésif. Je n’osais rien faire, surtout pas toucher ce corps qui avait été écorché, brûlé, poignardé en multiples endroits, et qui n’était plus que chairs rouge sombre et visqueuses. En pleurant et s’excusant auprès d’Irina, Sarah lui a enfilé un des pantalons, a ôté son blouson pour la recouvrir, laissant visible la ceinture de dynamite sur son débardeur noir.
"Elle a suffisamment été humiliée. Je ne veux pas exposer les tortures qu'elle a subies aux autres."
Le coréen, pourtant bâillonné, a émis un gloussement proche du ricanement. Alors, Sarah s'est tourné vers lui et m’a demandé, d'une voix sourde où perçait le meurtre, de porter Irina à l’hélicoptère.
" Tu pourras le faire seul? Ta jambe tiendra le coup?
- Oui, elle tiendra parce qu’elle veut sauver cette femme. Mais pourquoi seul?
- J’ai encore quelques petites choses à faire ici. Répond-elle en me montrant sa ceinture.
- Sois prudente! Reviens vite!
- Bien-sûr, ma Star.” Termine-t-elle avec un sourire et un clin d’œil qui se veulent rassurants.
En sortant de la pièce avec mon fardeau dans les bras, j’ai eu juste le temps de voir du coin de l’œil Sarah se diriger, menaçante, vers le coréen.