



Dystopie1
Cette nuit, j’ai pensé à baisser les bras. J’ai pensé que cette idée d’écrire était prétentieuse, ridicule. Je voulais laisser tomber : à quoi bon envoyer des lettres (meils) à des producteurs qui ne liront probablement même pas la fin de mon pitch. Et là, j’ai entendu le cri de Sarah.
Je me suis fait engueuler ! Je ne vous dis pas !
« Tu nous as sorti du néant, maintenant assume ! On ne t’avait rien demandé : on n’existait pas ! Mais maintenant qu’on vit dans ta tête et sur ton site, tu voudrais nous abandonner ? C’est comme si tu nous avais enfermés dans un donjon !
Nous, on veut vivre au grand jour, on veut respirer l’air libre.
Tu ne m’as pas créé autant de souffrances pour me laisser tomber maintenant ! Et Sacha alors ? Tu as tué son père, dont tu avais fait un monstre… et tu nous plante ? Et Seung-Chul ? Tu lui donnes un coeur gros comme la planète et tu l’oublie ?
Pas de ça, ma grande !
Assume »
Sacha et Seung-chul ne disaient rien. Ils entouraient Sarah de ses bras, tentant de la calmer. Et quand Sarah s’est tue, le visage baigné de larmes de colère et d’impuissance, ils ont levé les yeux vers moi et ont murmuré.
Sarah N’Gué, 사랑해 살아 . Ils m’ont juste rappelé pourquoi j’ai inventé leur histoire.
Leurs mots résonnent encore dans mon esprit ce matin.
Sarah N’Gué, je t’aime, vis.
Au boulot !
Pour eux.

Dystopie 2
Aujourd’hui, je suis allée voir les 3S. Je n’ai trouvé que Sarah, à l’entrée de la grotte des 20. Oui, c’est Sarah qui lui a donné ce nom : lors de la cavale de Seung-Chul, Sissa et Sétie, poursuivis par les trafiquants d’humains. Mais si, vous savez : quand Sarah s’est lancée à la recherche de Seung-Chul en parapente le long de la côte de la pointe du Van. Ah ben si vous ne savez pas, il est temps de le lire…
Je n’ai trouvé que Sarah, assise sur un rocher, les pieds dans l’eau, en train de jouer avec une étoile de mer. Elle semblait abattue. J’ai voulu lui remonter le moral, fière d’avoir œuvré pour elle.
MOI
fièrement
Ça y est Sarah ! J’ai envoyé les mails aux maisons de diffusion.
SARAH
éteinte
C’est bien.
Elle a continué à pousser l’étoile de mer du bout des pieds, sans plus s’occuper de moi. J’avoue que j’étais un peu vexée.
MOI
vexée
C’est tout ? Un merci, peut-être ?
SARAH
Pourquoi ? Tu as eu des réponses ? Quelqu’un est intéressé ?

Que dire, face à ce découragement. Découragement que je ressens chaque jour qui passe sans réponse.
MOI
penaude, baissant la tête
Non, c’est vrai. Mais je l’ai fait. Je suis arrivée jusqu’ici. Je n’étais jamais allée aussi loin avant.
SARAH
Et après ? Si rien ne se passe… Ça aura servi à quoi ? Tu sais ce que ça fait de passer son temps à disparaître, réapparaître, au gré de ceux qui nous lisent, de toi qui nous écris ? Tu sais que les enfants pleurent quand l’un d’entre nous s’efface… un peu… beaucoup ? Ils ne comprennent pas eux. Ils ont peur. Ils sont même terrorisés.
MOI
compatissante et gênée
j’imagine, oui. C’est moi qui vous ai donné vie après tout.
SARAH
agacée
Tout ça pour nous faire souffrir ? C’était bien la peine de nous sortir du néant, de me faire violer, torturer, agresser, de faire mourir Lotus devant Sacha, de blesser Seung-Chul… Et j’en passe… Si on n’existe que par intermitence ?
MOI
étonnée, regardant autour de moi
Au fait, où sont les deux autres ?
SARAH
amère
Partis en promenade avec les enfants. Je les attends depuis… Cinq minutes, une heure, une éternité ? Le temps n’a pas de valeur ici. Ils se sont évanouis et je reste seule…

MOI
Triste
Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Pour vous ? Je vous aime tellement !
SARAH
désabusée
Laisse-nous partir. Ne penses plus à nous. Laisse-nous retourner dans le néant. Tu n’es pas de taille. Tu n’es pas du métier. Tu n’es qu’une rêveuse.
MOI
éplorée
Mais je ne veux pas que les bons moments que vous avez vécus disparaissent. Je vous veux vivants !
SARAH
dans un murmure
Je suis fatiguée. Je suis seule ! Laisse-moi partir.
MOI
me redressant
Pas encore ! Il me reste des cartes à jouer… Peut-être… Patiente encore un peu.
À ce moment, Sarah a relevé la tête. Des cris d’enfants ont résonné dans la grotte. Seung-Chul riant avec eux tandis que Sacha leur demandait plus de discrétion. J’aurais aimé rester… Mais la vision s’est dissipée. Et je me suis retrouvée ici. Devant mon clavier… À rêver, encore, à croire que tout n’est pas fini… encore un peu.
Encore un soir… encore une heure… Encore un jour…

Ô si je pouvais
Encore un soir,
encore une heure
Encore
une larme de bonheur
Une faveur
comme une fleur
Un souffle, une erreur
Un peu de nous,
un rien de tout